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tous les soirs. » En passant lentement au milieu des rues encombrées par la foule, dans chaque boutique, à côté de l’image de la Madone, éclairée de sa veilleuse perpétuelle, j’apercevais deux portraits, celui de Garibaldi et celui du roi Victor-Emmanuel, illuminés d’une lampe qui brûlait pieusement, comme le cierge qui brûle jour et nuit devant le saint des saints. Plus tard, à Messine, dans toutes les villes des Calabres et de la Basilicate, à Naples même, je devais retrouver les mêmes indices d’une superstition profonde, passée pour ainsi dire à l’état de premier besoin : souvenir des dieux lares utilisé par la religion catholique. Quand un homme fait une grande action, ou devient le but des espérances communes, on achète son image, on allume une chandelle devant, on le met à côté du patron particulier, de la vierge spéciale de la maison, et l’on en fait ainsi une sorte de saint. Le peuple des Deux-Siciles n’est ni païen, ni catholique, il est simplement iconolâtre.

Mes compagnons s’étaient, pendant la journée, informés auprès de tous les ministères, afin de savoir où se trouvait actuellement Garibaldi ; nul n’avait pu leur répondre : on savait qu’il avait quitté Messine sur un bateau à vapeur anglais, mais on ignorait vers quel point il s’était dirigé. Les conjectures avaient beau jeu et ne se gênaient pas pour marcher grand train. On fut bien surpris quand on sut où il était réellement pendant que les oisives interprétations le faisaient voyager. Je me couchai, me promettant de visiter le lendemain la ville en détail, ainsi que ses environs ; mais à cinq heures du matin je fus réveillé par un officier qui venait me prévenir que Garibaldi, débarqué vers minuit à Palerme, repartait pour Messine dans la matinée, et que des places nous étaient réservées sur son bateau. En effet, pendant que chacun envoyait Garibaldi, selon sa propre fantaisie, sur un point ou sur un autre, il s’était rendu en Sardaigne pour dissoudre l’expédition projetée du colonel Piangiani ; puis, au moment de revenir en Sicile, se sentant tout près de son îlot de Caprera, il n’y avait pas tenu et y avait conduit les amis qui l’accompagnaient. Avec une joie d’enfant, il leur fit les honneurs du rocher où il a choisi sa demeure, il les reçut dans la maison qu’il a bâtie lui-même, il leur montra dans son verger les arbres fruitiers qu’il a greffés de sa main ; il visita avec eux ses engins de pêche et le petit port qu’il a creusé pour abriter son canot ; il les promena dans l’étroite prairie où paît son troupeau peu nombreux, et là il se passa une scène d’une simplicité touchante qui révèle l’homme tout entier. Parmi les bestiaux, il y avait une jeune vache qu’il affectionne beaucoup et qui avait l’habitude de venir manger dans sa main. Il en avait parlé à ses amis en leur vantant l’extrême docilité de Brunetta. Dès qu’il fut en sa présence, il l’appela. L’animal