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à la neige et des échelles de soie ; ce n’est peut-être rien de tout cela, c’est peut-être une ville fort maussade, enlaidie de moines, et tout à fait mercantile. Je l’ai traversée plutôt que je ne l’ai vue, et je livre mon impression première, qui n’a pas donné à l’expérience le temps de la corriger.

Il y a des choses fort curieuses à visiter à Palerme, entre autres la cathédrale, où j’entrai ; mais ma pensée n’était ni aux choses de l’art, ni à celles de l’histoire, et j’oubliai vite cette grande église pour considérer, sur la place ouverte devant son parvis, des recrues qui faisaient l’exercice avec un ensemble très rassurant. Un jeune prêtre en culottes courtes, coiffé d’un large chapeau à ganse d’or, portant les armes de la maison de Savoie brodées au collet de son habit et s’appuyant avec une certaine élégance sur un sabre qui pendait à sa ceinture, les regardait comme moi et semblait prendre intérêt à leurs évolutions. J’appris alors, et non sans quelque étonnement, que j’avais devant les yeux le commandant d’un bataillon de prêtres qu’on était en train d’organiser. Le clergé sicilien est de l’opposition, ainsi que nous dirions ici ; il ne veut plus de la domination bourbonienne : est-ce à dire pour cela qu’il soit libéral ? J’en doute : il y a certaines croyances religieuses qui ne s’accorderont jamais avec certaines idées philosophiques. Quoi qu’il en soit, ce fut du couvent de la Gancia, occupé par les carmes déchaux, que partirent les premiers coups de fusil lors de la tentative d’insurrection avortée le 4 avril 1860. Le couvent fut pillé, l’église aussi, et aussi toutes les maisons voisines. Garibaldi trouva de l’appui parmi le clergé séculier, qui non-seulement est opposé à la dynastie des Bourbons, mais encore est opposé au pape et a souvent rêvé le sort heureux d’un clergé indépendant, car il y a une vieille rancune entre Rome et l’église sicilienne. C’est une curieuse histoire qui prouve que, pour des petits pois, un pays peut être mis en interdit et voir fermer ses églises et ses couvens ; mais cette histoire a été trop spirituellement racontée par Duclos[1], pour que je me permette d’y toucher après lui. Les blessures sont profondes et se cicatrisent difficilement dans ces corps constitués hors de la famille et de la patrie, et le clergé de Sicile n’a pas oublié qu’ayant souffert pour la cause des prétendues prérogatives du saint-siège, il a été

  1. Un fermier de l’évêque de Lipari étant venu en 1711 vendre des pois au marché de Palerme sans acquitter les droits d’étalage, et les commis ayant saisi sa marchandise, l’évêque excommunia les commis. Il s’ensuivit des luttes dans lesquelles le clergé sicilien fut d’abord soutenu, puis abandonné par Rome, ce qui provoqua chez lui un ressentiment dont les traces ne sont pas encore effacées. Voyez Mémoires secrets sur le règne de Louis XIV, la Régence et le règne de Louis XV, par Duclos, collection Barrière, p. 141 et seq.