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ASPASIE.

Empêche-les de venir voter.

ELPINICE

Empêche une meute lancée de poursuivre le cerf.

ASPASIE.

Fais vœu d’offrir demain une hécatombe à Apollon ; que ton intendant convie au festin tous les citoyens du dême, et nous compterons ceux qui se rendront à la ville.

ELPINICE

Le succès d’une telle ruse est certain ; mais je ne l’emploierai pas.

ASPASIE.

Tu hais donc bien Périclès ?

ELPINICE

C’est lui qui me hait. Sa froideur, son dédain, son silence me le témoignent assez clairement. Toi-même, tu en as pu juger tout à l’heure.

ASPASIE, soupirant.

Ah ! ma chère Elpinice, tu es peu clairvoyante pour une femme.

ELPINICE

Je ne te comprends pas.

ASPASIE.

Tu n’as rien deviné ?

ELPINICE

Rien.

ASPASIE.

Tu ne peux m’épargner l’embarras d’un aveu ?

ELPINICE

En vérité, je ne le puis.

ASPASIE.

Tu n’as pas soupçonné que Périclès ne cédait point à son propre mouvement ?

ELPINICE

Qui donc le force à me mépriser ?

ASPASIE.

Il ne te méprise pas,… mais si quelqu’un l’avait prié de t’éviter ?

ELPINICE

Pour quel motif ?

ASPASIE.

Parce que l’on te craint.

ELPINICE

Et qu’ai-je donc de si redoutable ?

ASPASIE.

Tu le demandes, quand tu es riche, de race royale, pleine d’esprit, habile à séduire, digne d’être consultée par les hommes d’état !

ELPINICE

Ainsi, ma belle, tu redoutais en moi une rivale ?

ASPASIE.

Ne prononce pas ce mot : la rougeur couvre mon front. Je t’ai offensée ?

ELPINICE

Non,… je veux dire oui, par Vénus ; mais l’offense est légère.