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tissus transparens, les meubles somptueux, la pourpre des Phéniciens, les tapis d’Ecbatane, les broderies des femmes lydiennes, les bijoux en or massif, les pierres précieuses recueillies au-delà de l’Indus. Quelles fêtes ! quelle magnificence ! quelle succession de plaisirs ! Les plumes de volailles entassées devant les portes annonçaient tous les jours de nouveaux festins. Peut-être mon frère se laissait-il dompter quelquefois par le puissant Bacchus, mais on en riait avec les poètes comiques. Peut-être se dirigeait-il trop souvent vers les cyprès du Céramique à l’heure où les courtisanes s’y promènent, une branche de myrte entre les lèvres, semblables aux buissons qui tondent les brebis au passage. Comment n’eût-on pas accordé quelque licence à des héros qui repartaient le lendemain pour braver la mort ? On m’a raconté que Thémistocle avait attelé à son char quatre femmes nues et s’était fait traîner depuis le Pirée jusqu’à Athènes. Est-ce vrai, Phidias ?

PHIDIAS.

Tu as pu le voir aussi bien que moi, Elpinice, puisque nous sommes du même âge.

ELPINICE

Du même âge ! Tu n’y penses pas. À peine étais-je née.

ASPASIE, faisant un signe à Phidias.

C’est évident : n’écoute pas Phidias, qui plaisante ; mais, belle Elpinice, ce qui était permis à des gens sauvés de la ruine et enivrés par la victoire ne serait plus excusable dans des temps réguliers.

ELPINICE

Vous parlez de temps réguliers, vous qui avez tout bouleversé dans l’état ! Que m’importe la vertu si elle est morose, et le progrès s’il conduit à l’ennui ? D’abord les costumes seuls accusent le changement qui s’est fait dans les mœurs. C’est un signe qui ne trompe pas, oui certes, quoique Phidias fasse un geste de pitié.

PHIDIAS.

Ma pauvre Elpinice, ne seras-tu donc jamais raisonnable ?

ASPASIE.

Oh ! le méchant Phidias !

ELPINICE

Vous croyez-vous raisonnables parce que vous portez la tunique courte, le manteau grossier, la barbe et les cheveux taillés par le fer, et de simples sandales ? Est-ce pour mieux flatter les pauvres que vous leur ressemblez ? La démocratie veut-elle que vous soyez accoutrés comme des esclaves ? Il y a quelques années…

PHIDIAS.

Beaucoup d’années.

ELPINICE

… Lorsque je rencontrais les citoyens puissans ou riches, leur longue tunique de lin aux plis innombrables et symétriques, leurs manteaux semés de fleurs et de broderies, leur sceptre d’ivoire incrusté, leur barbe soigneusement frisée à la mode orientale, leurs cheveux relevés en nœud sur le front et attachés par des cigales d’or, me les faisaient reconnaître pour les maîtres de la Grèce. Ils ne craignaient pas de charger leurs doigts de bagues et de pierres bien gravées ; ils savaient, à l’aide des préparations que