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PÉRICLÈS.

C’est demain.

PHIDIAS.

La grande assemblée n’est-elle pas convoquée ?

PÉRICLÈS.

Elle est convoquée.

PHIDIAS.

Tu persistes à proposer au peuple de bannir Thucydide ?

PÉRICLÈS.

Assurément.

PHIDIAS.

Sinon, tu te soumets toi-même à l’ostracisme ?

PÉRICLÈS.

Ainsi le veut la loi. Si tu diriges aujourd’hui tes pas vers la plage sablonneuse de Phalère, tu y verras les esclaves publics remplissant leurs corbeilles de coquilles rejetées par la mer.

PHIDIAS.

Puisses-tu sortir victorieux de la lutte ! Es-tu sans crainte ?

PÉRICLÈS.

Je crains, mais je suis résolu, de même que dans les batailles les guerriers les plus braves redoutent la mort et s’y exposent. Depuis notre enfance, tu es accoutumé, Phidias, à connaître toutes mes pensées. Tu sens bien que, si mon visage est calme, mon esprit est agité. Tantôt j’espère, tantôt je suis abattu. En venant chez toi, je passais sur la colline de Musée. Je voyais à la fois la ville assise sur ses rochers, la plaine, le bois d’oliviers, les montagnes qui l’entourent : jamais ma patrie ne m’avait paru aussi belle. Quand je songe que je puis être forcé, dès demain de la quitter, je ne puis me défendre de quelque émotion. Cependant je n’en monterai pas moins sans pâlir à la tribune.

PHIDIAS.

O mon ami, quel spectacle tu donnes à la Grèce ! Combien tu mérites de conduire les hommes, toi qui respectes ainsi les lois de ton pays ! Tu pourrais recourir à la violence, t’emparer de la citadelle, chasser tes adversaires et imiter Pisistrate, puisque tu descends toi-même d’une famille de tyrans. Tu préfères agir en homme de bien ; tu consultes la volonté de tes concitoyens, prêt à t’éloigner, s’ils l’ordonnent, à gouverner, s’ils le permettent.

PÉRICLÈS.

Je tiens le serment que j’ai prêté dans le temple d’Aglaure, en recevant mes premières armes au nom de la patrie et de la liberté.

PHIDIAS.

Tous, nous avons prêté ce serment ; mais plus d’un orateur, à ta place, réciterait le vers d’Euripide : « Ma langue a juré, et non pas mon cœur. »

PÉRICLÈS.

Ne m’accorde pas tes éloges, Phidias, car mon ambition surpasse celle des tyrans. Je veux ne devoir qu’à la persuasion le pouvoir qu’ils demandent à la force, parce qu’un tel pouvoir est le plus grand de tous. Celui-là règne, non pas qui commande à des esclaves, mais qui conduit des hommes