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que M. de Bonnechose a finement appréciée, et il ouvrit sous des auspices favorables la voie au jeune écrivain.

Un nouvel ouvrage, le Traité de la philosophie morale, dans lequel M. Droz examine en historien les nombreux systèmes des grands moralistes, et en fait ressortir les plus salutaires règles de conduite qui sont comme le résumé de la sagesse antique, appela sur l’auteur les suffrages de l’Académie française. Après l’avoir couronné, elle pensa qu’elle pouvait lui ouvrir ses rangs. M. Droz, en obtenant un tel honneur, n’avait pas seulement recherché une récompense, mais une charge, et il reprit avec plus d’ardeur la tâche qu’il s’imposait de donner à ses contemporains de nouveaux enseignemens. Son Traité de la morale appliquée à la politique était, comme il le disait lui-même, le legs d’un homme qui avait vu des révolutions ; il le faisait paraître sous le gouvernement de la restauration, à une époque où un tel écrit ne semblait plus être une satire et répondait aux nobles espérances, aux vues loyales d’une nouvelle génération qui faisait alors l’apprentissage sérieux des libertés publiques, inaugurées par la charte de 1814. Ce furent les mêmes pensées saines et élevées qu’il transporta dans son Manuel de l’économie politique, resté justement populaire, et dans l’ouvrage qui perpétuera le plus sûrement son nom, l’Histoire du règne de Louis XVI. C’est dans ce grand travail, préparé pendant vingt-cinq ans, que M. Droz a recherché, par l’étude attentive et impartiale des événemens et des hommes, si l’on pouvait prévenir ou diriger la révolution française. Il y a démêlé avec une rare sagacité les fautes de tous les partis qui précédèrent de si près les crimes du parti terroriste, et il les a jugées sans aucune faiblesse, écartant d’une main ferme cette commode et menteuse excuse de la nécessité inventée à l’usage des lâches ou des scélérats, et rendant ainsi sans cesse aux acteurs la liberté de leur conduite, qui fait la moralité de l’histoire. M. de Bonnechose, qui a lui-même, dans sa remarquable histoire de l’Angleterre, suivi les destinées plus heureuses du peuple anglais, était mieux préparé que tout autre à faire apprécier l’ouvrage de M. Droz. Sa notice s’achève par des pages pleines d’émotion, où il raconte comment l’expérience de la vie, attristée par ces séparations douloureuses qui font sentir au cœur de l’homme le besoin d’une croyance, ramena M. Droz, dans ses dernières années, aux doctrines et aux pratiques de la foi chrétienne. Toujours préoccupé du bien de ses semblables, M. Droz leur laissa pour ainsi dire son testament dans les Aveux d’un philosophe chrétien et dans ses Pensées sur le christianisme. Aujourd’hui plus que jamais, il était opportun de ramener l’attention sur une vie si utilement employée et si honorablement écoulée, dans laquelle l’homme et l’écrivain se complètent pour donner les plus fortifians exemples contre les abaissemens de l’esprit et les défaillances du caractère.


ANTONIN LEFEVRE-PONTALIS.


V. DE MARS.