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JOSEPH DROZ ET SES ECRITS[1]

La vie d’un homme de bien racontée par un homme de bien, tel est le mérite, tel est aussi le charme de la notice consacrée par M. de Bonnechose à la vie et aux écrits de M. Droz ; elle accompagne heureusement la nouvelle édition de son principal ouvrage, l’Histoire du règne de Louis XVI. Dans un cadre étroit, qui ne pouvait guère dépasser les bornes d’une introduction, M. de Bonnechose a rendu attachante et instructive l’étude dans laquelle il fait revivre M. Droz au milieu de tous ses contemporains, en le suivant dans les voies si diverses où il s’est successivement engagé : tour à tour soldat, professeur et écrivain, moraliste, économiste et historien, ami de la philosophie et plus tard chrétien fervent, entré dans la vie active aux débuts de la révolution française et ayant survécu de deux ans à la ruine de ces institutions constitutionnelles qui semblaient en être le couronnement. H. de Bonnechose aime à peindre la société dans laquelle M. Droz passa les années de sa jeunesse, accueilli avec faveur dans ces libres réunions de gens du monde et d’écrivains que rapprochaient le goût des choses de l’esprit, les liens de la sympathie et de l’estime. Moins préoccupé de lui que des autres, il était digne d’avoir des amis ; il en eut plusieurs et les choisit de manière à les conserver jusqu’à la fin. Au lendemain des journées néfastes que la convention et le directoire avaient fait traverser à la France, lorsqu’elle n’entendait plus que le bruit des armes, qui semblait couvrir toutes les autres voix, on aime à rencontrer ces hommes de lettres, — Cabanis, Ducis, Andrieux, Picard, Lémontey, — rapprochés les uns des autres, détachés de toute ambition bruyante, jaloux de perpétuer par leurs entretiens et leurs ouvrages les dernières traditions des brillans salons du XVIIIe siècle.

Ce fut dans cette douce atmosphère que M. Droz écrivit son premier ouvrage important, l’Essai sur l’art d’être heureux. Nul ne pouvait mieux développer cette théorie du bonheur qui semble échapper aux préceptes. Sa vie bien réglée, exempte de passions, de mécomptes et d’infortunes, éclairée d’un rayon de renommée sans être troublée par l’ambition, remplie par les joies pures d’un amour partagé, lui permettait de chercher dans sa propre histoire le fondement d’une science sur laquelle il se faisait peut-être illusion. Sans méconnaître la grande part que l’homme peut avoir à la direction de sa destinée terrestre par le bon emploi qu’il fait de sa liberté, il ne faut pas non plus se dissimuler que les plus savans calculs, les efforts les plus persévérans ne suffisent pas à la félicité d’ici-bas et ne protègent pas contre les rigueurs du sort ou les terribles surprises du malheur. Aussi M. Droz avait-il donné l’exemple plutôt que les préceptes d’une vie heureuse ; ramené à ces proportions, son traité n’en avait pas moins une valeur

  1. Notice sur Joseph Droz, par M. de Bonnechose, suivie d’une nouvelle édition de L’Histoire du règne de Louis XVI ; Paris, veuve Jules Renouard.