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les questions de principes, qui sont le fond du libéralisme, et que le libéralisme veut appliquer par l’instrument des institutions perfectionnées dont il désire et poursuit l’achèvement. Ce qui explique le dissentiment qui nous éloigne d’une certaine portion du monde politique, et ce qui nous autorise à nous attribuer la représentation du libéralisme, c’est que nous ne séparons point la forme du fond, et que nous voulons par les moyens libéraux le triomphe des principes libéraux. Dans l’état d’épuisement où la vie politique était tombée parmi nous, certaines personnes pensaient être libérales à meilleur marché. À quoi bon se diviser sur le but, puisque le but est loin et que la conquête des moyens nous met d’accord ? Le raisonnement pouvait être politique tant que les événemens ne soulevaient point ces questions de principes que l’on ne peut résoudre par des réticences ou des inconséquences. Sans doute, quant à nous, nous ne repoussons point ce libéralisme relatif, qui s’appuie sur la forme des institutions. Entre lui et nous, jusqu’au couronnement de l’édifice, la transaction est naturelle, l’alliance est légitime ; mais en politique les honnêtes et bonnes alliances ne se font point sur des confusions et des prétentions : la première condition pour y tenir loyalement et utilement sa place, c’est d’y rester soi-même et de n’y point taire ses principes. Il y a eu, il y a, il y aura des légitimistes et des cléricaux libéraux quant à la forme qu’ils veulent donner aux institutions politiques. À la poursuite du même but, on ne peut que s’honorer de leur concours ; mais les intérêts et les principes engagés dans les questions de Rome et d’Italie ne nous avertissent-ils pas que le parti libéral a une existence indépendante des alliances que les circonstances lui permettent, et que par exemple le parti libéral, s’il se constitue, ne pourra pas être un parti légitimiste ou un parti clérical ? Certes le moment serait mal choisi pour rappeler, en présence des faits actuels, au parti clérical les fautes commises depuis tant d’années par ceux qui avaient fini par le dominer. L’expérience les éblouit maintenant de ses cruelles leçons. Ils n’ont pas compris à une autre époque qu’une des vertus qui rendent particulièrement aimables les institutions libres, c’est qu’elles sont douées d’une loyauté naturelle qui, dans les luttes politiques, abrite tous les intérêts et adoucit, du moins pour ceux qui sont forcés de céder, l’amertume de la défaite par le sentiment qu’on leur a donné franc jeu, qu’ils ont combattu à chances égales, qu’ils n’ont succombé que sous l’arrêt de l’opinion, qu’ils peuvent toujours conserver l’espoir de ramener à eux. Cette probité virile et généreuse inhérente à la liberté, qui la porte à mettre aux mains mêmes de ses ennemis des armes que ceux-ci n’ont que trop souvent retournées contre elle, n’a point été comprise par l’immense majorité du parti clérical. Ce parti a bafoué et honni la liberté. Quelle est la consolation qui lui reste ? « Nous avons été dupés, » s’écrie M. Dupanloup, qui a certes trop d’esprit pour faire retentir ce meâ culpâ sur sa propre poitrine ; mais on n’est jamais dupé que par soi-même, et c’est ce qui rend les dupes peu intéressantes, surtout quand elles devaient être