Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/254

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui doivent leur être familières. On s’épargne la cérémonie et l’encombrement d’une commission spéciale ; le ministère fait choix de deux de ses amis dans chacune des chambres, et leur confie la mission de présenter et de soutenir l’adresse. Ces pairs ou ces gentlemen arrivent à la première séance du parlement avec l’adresse toute rédigée dans leurs poches. S’il convient à l’opposition de marquer dès cette première épreuve le dissentiment qui la sépare du gouvernement, un amendement de quelques lignes est bientôt rédigé et proposé. Pour vider le différend, une séance suffit d’ordinaire. En France, nous dépensons cinq ou six semaines pour ce qui coûte à nos voisins une soirée ; oui, nous dépensons, le mot ici n’est point une figure. Certes il était Saxon celui qui trouva le proverbe : le temps est de l’argent ; pourtant, Celtes que nous sommes, nous aurions dû en faire notre profit depuis que les services de nos assemblées représentatives ont cessé d’être gratuits. Un mois, un mois et demi de session, c’est beaucoup d’argent ; nous laissons aux statisticiens à calculer la somme. Quoi qu’il en soit, après les discussions dans les bureaux, après l’élection des commissaires, après les travaux des commissions, nous n’avons encore pour notre argent que les projets d’adresse du sénat et du corps législatif. Nous ferons toutes les concessions que l’on voudra aux vénérables prérogatives dont jouit chez nous l’esprit de routine ; mais, de bonne foi, ne conviendra-t-on point que nous nous laissons avec excès dévorer par les formalités superflues ? A quoi bon ce vieux et lent appareil de bureaux, de commissions multipliées, à une époque où tout mécanisme doit être rapide, où il faut improviser partout, où en effet, pour ne point sortir des matières parlementaires, le gauche et solennel discours écrit a été, au gré de tout le monde, éconduit et supplanté par la parole improvisée ?

Par esprit d’économie, prévoyant qu’après les discussions de l’adresse nous aurons à revenir sur la plupart des questions ébauchées dans le projet lu au sénat par M. Troplong, nous nous abstiendrons aujourd’hui d’apprécier ce document. On nous ferait injure cependant si l’on supposait que nous l’avons accueilli avec indifférence. Nous y avons cherché au contraire avec une vive curiosité le jugement porté par le sénat sur le problème le plus difficile, sur la question la plus pressante du moment, sur la crise actuelle de la régénération italienne. Ce problème, cette question, cette crise, c’est la question romaine. L’Italie une, constituée en fait par l’annexion du royaume de Naples et la chute de Gaëte, s’affirme en droit par le titre nouveau que le parlement italien confère au roi Victor-Emmanuel. Il ne manque plus à l’établissement intérieur du nouveau royaume qu’une enclave, l’enclave romaine, celle qui renferme la capitale que l’Italie réclame comme l’expression suprême et la condition essentielle de son unité. Là, en ce moment, se resserre jusqu’à éclater l’étrange antithèse que présente depuis deux ans la politique du gouvernement français. Cette politique, nos lecteurs le savent, s’est annoncée par des professions de foi qui nous ont toujours