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des voluptés païennes exerçant sur l’époux de Sérena ses séductions dangereuses, le quartier prétorien regorgea de courtisanes et d’histrions que le pays fournissait en abondance, et le chef passait les nuits en divertissemens, tandis que les soldats désertaient. Alaric profita de l’incurie générale pour se procurer des vivres par les côtés de la montagne qui se trouvèrent les plus mal gardés ; il put même recevoir dans son camp, à l’insu des assiégeans, des émissaires d’Eutrope qui lui apportaient des propositions d’arrangement au nom de l’empereur. Ces propositions le remplirent de joie : elles contenaient l’octroi de tout ce qu’il avait désiré et demandé jusqu’alors, de tout ce qui avait été le motif ou le prétexte de sa prise d’armes, c’est-à-dire son élévation à la maîtrise des milices. L’empereur lui offrait cette fonction dans le département de l’Illyrie orientale, à la condition qu’il cesserait la guerre et se rendrait tout de suite en Épire, où un cantonnement lui serait délivré. Le gouvernement promettait en outre de lui fournir des vivres et d’organiser les Goths à la romaine, comme une armée de Barbares réguliers. Chose à peine croyable, un pareil traité fut remis, discuté, conclu sous les yeux mêmes de Stilicon, contre lequel il était fait. Suivant toute apparence, les envoyés d’Eutrope restèrent auprès d’Alaric pour le couvrir de l’autorité souveraine de l’empereur si l’armée occidentale l’attaquait ; mais le roi goth préféra tenter une sortie nocturne qui réussit. Des intelligences pratiquées au dehors facilitèrent l’entreprise, il dégagea son armée, et lorsqu’au matin les Romains s’aperçurent que le camp ennemi était désert, Alaric se trouvait déjà loin : il traversait les forêts de l’Érymanthe, par lesquelles il regagna Corinthe sans encombre.

Arrivé de l’autre côté de l’isthme, le roi des Goths changea de rôle subitement, comme par un coup de théâtre, et le plus inattendu. En vertu du rescrit impérial dont il était porteur, il se proclama lui-même et se fit proclamer gouverneur romain de l’Illyrie, sommant Stilicon de cesser ses ravages et d’évacuer le Péloponèse, où lui seul avait le droit de commander. Les instructions de l’empereur lui prescrivaient de gagner l’Épire, et de s’y installer au plus vite de la manière qui lui serait indiquée : voyant que Stilicon ne le suivait pas, il prit la route du Pinde, qu’il traversa paisiblement par étapes, comme un général romain en marche pour le service de son prince. Un cantonnement lui fut assigné dans le voisinage de la frontière italienne, où les Goths durent recevoir un armement complet en épées et javelots tirés des arsenaux de la Thrace, ainsi que l’habillement ordinaire des auxiliaires de cette nation, casaques de peaux de mouton pour les soldats et toisons teintes en pourpre pour les chefs. Les arsenaux ne suffisant pas à la distribution des