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nous renseignant sur elle, nous renseigne en même temps sur nous. Il porte donc la marque des vrais et bons livres, qui est d’accroître la somme de vie morale que nous avons en nous, d’y ajouter quelque chose, ne fût-ce que le volume d’un atome. Il peut ainsi aider le lecteur et nous aider nous-même à attendre patiemment l’arrivée des chefs-d’œuvre qui sont sans doute en préparation. Ce petit joyau vient donc doublement à point.

L’auteur de ces deux aimables volumes ne fut pas pendant sa vie un homme célèbre. La génération romantique au milieu de laquelle il vécut, et qui était, alors dans toute sa puissance et dans tout l’enivrement de sa victoire, ignora jusqu’au dernier jour qu’elle comptait dans ses rangs un jeune poète contemplatif et solitaire, qui avait une manière originale de sentir et d’exprimer la nature, et qui réunissait par une alliance rare la ferme sobriété classique à la hardiesse aventureuse des modernes. Pendant que Maurice de Guérin laissait couler ses jours en Bretagne, à La Chênaie, ou au Val, M. Petrus Borel ou M. Gustave Drouineau remplissaient le monde littéraire du bruit de leurs noms. M. Petrus Borel et M. Gustave Drouineau ont cessé d’exister cependant, et le nom de Maurice de Guérin se lève et prend après la mort la place que la vie lui refusa. Il n’était connu que des quelques amis qui avaient entouré l’abbé de Lamennais dans son ermitage de La Chênaie, avant la rupture violente avec Rome, et longtemps sa renommée ne franchit pas le cercle de ce petit cénacle catholique. Dans ses dernières années, pendant son séjour à Paris, il paraît avoir été un peu plus mêlé au monde littéraire : il y vécut dans la compagnie de quelques hommes de lettres, parmi lesquels nous devons distinguer notre collaborateur M. Scudo, dont l’amitié n’est point banale, ni le goût indulgent, ainsi que le savent nos lecteurs. Mais heureusement pour Guérin, les quelques amis qu’il avait glanés sur toutes les étapes de son court pèlerinage, au Cayla, en Bretagne, à Paris, étaient à peu près tous des hommes intelligens, capables de le comprendre et de l’apprécier. Tous sans exception semblent l’avoir aimé, et leur mémoire est restée comme parfumée de son souvenir. Aussi n’ont-ils pas voulu qu’une âme d’élite ait passé au milieu d’eux, sans qu’un monument funèbre fixât la date de son séjour sur la terre, et racontât à ceux qui ne l’ont pas connue combien elle fut douce et digne d’être aimée. Ils se sont dévoués à sa gloire avec une ardeur et une patience que le temps n’a pas ralenties ni lassées, et ils ont eu l’honneur d’engager dans la complicité de leur pieuse entreprise deux des noms les plus éminens de notre haute littérature, Mme Sand et M. Sainte-Beuve. Un an après la mort de George-Maurice de Guérin, quelques-uns des fragmens qui composent ces deux volumes furent placés sous les yeux de Mme Sand, qui d’instinct reconnut dans l’auteur du Centaure un frère dans l’art, et qui frappa à son effigie un médaillon dont les anciens