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consistait simplement à démontrer, par des exemples tirés de l’expérience de chaque jour, que l’infortune n’arrivait jamais imméritée sur la terre, mais qu’elle avait toujours pour mission et pour moralité de châtier quelque infraction, d’ancienne ou de récente date, aux préceptes posés par la loi divine. Quels sont ces préceptes ? Où Linné ira-t-il en chercher la formule ? Dans l’Ancien Testament. C’est évidemment un écho et une paraphrase du Décalogue que cette série de dix commandemens qu’il place en tête de son livre, à l’ombré du glaive de sa Némésis divine :

« 1. Crois fermement, suivant ce qu’enseignent et le spectacle de la nature et l’expérience, en un Dieu qui a créé, conserve et gouverne le monde, qui voit, entend et sait tout, et en présence duquel tu es sans cesse.

« 2. Tu ne prendras jamais Dieu pour témoin dans une cause injuste.

« 3. Considère les desseins de Dieu dans la création. Crois que Dieu te conserve et te conduit chaque jour, que tout mal et tout bien dérivent de sa loi sainte.

« 4. Ne sois pas ingrat, afin que tu vives longtemps sur la terre.

« 5. Garde-toi du meurtre. La faute dont les traces sont ineffaçables ne peut être pardonnée. Le meurtre n’est pas réparable, sinon par le meurtre.

« 6. Aie du respect pour la femme. — Et toi, femme, ne trahis pas le cœur de l’homme.

« 7. Repousse le gain illicite.

« 8. Sois homme d’honneur et de parole sûre ; chacun t’aimera.

« 9. Tu ne tendras pas de piège à ton prochain, de peur d’y tomber toi-même.

« 10. Ne cherche pas à fonder ton bonheur sur de viles intrigues. »

Tel est, dans l’ouvrage de Linné, son résumé un peu arbitraire des préceptes de la loi morale et divine. C’est là son code, celui qu’il propose au fils qu’il veut former. Presque tout le reste du livre n’a pour objet que de confirmer chacun de ces commandemens, en montrant celui qui les viole inévitablement puni sur la terre.

Il développe ça et là les trois premiers préceptes, mais sans apporter comme sanction aucun exemple d’athée ou d’impie châtié par la Providence. Les expressions de son respect pour la Divinité n’en sont pas moins précieuses à recueillir. On remarquera de plus quelques paroles, les seules dans tout son livre, qui le séparent des libres penseurs qui l’entouraient, pour le ranger parmi les simples croyans :

« Qu’est-ce que Dieu, qui voit, qui entend et qui sait tout ? — Je ne vois pas Dieu, c’est vrai ; mais je ne vois pas ce qui sent en moi. L’œil est une chambre obscure qui me dépeint les objets. Que le nerf soit pressé, et je ne vois plus rien, je ne perçois plus la matière d’aucun jugement… M’étonnerai-je de ne pas voir Dieu si je ne puis me voir moi-même à l’intérieur[1] ?…

  1. « Quid est Deus, qui videt, audit, scit ? Non video Deum. Quod in me sentit non video. Oculus est camera obscura, depingit objectum ; sed, presso nervo, nil video, nil inde judico. Narvus ducit ad cerebrum ; ibi nil video… Quid mirum si Deum non video, si me ipsum, in me habitantem, non video ?… Est aliquid in me, pars præstantissima mel. Si me non possum percipere, non mirum quod nunquam Deum capere. »