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et il reprit sa course avec autant de tranquillité, nous dit un historien, que s’il eût été dans un stade, disputant le prix des jeux publics. Suivant les instructions données par Rufin, les garnisons romaines se gardèrent bien de l’inquiéter, le laissant piller tout à son aise. Cette inaction força les Thessaliens de pourvoir eux-mêmes à leur sûreté ; réunis en armes près de l’embouchure du Pénée, ils se jetèrent à l’improviste sur les Goths au moment où ceux-ci passaient le fleuve, et leur tuèrent ou noyèrent trois mille hommes ; Alaric se vengea par des dévastations odieuses : tout ce qu’avait célébré l’histoire et chanté la poésie, dans ce pays illustré par la guerre et les arts, fut détruit ou profané. Des Goths campèrent dans les champs de Pharsale ; les frais ombrages de Tempé disparurent sous la hache barbare, et le Sperchius, défoncé par la roue des chariots, ne roula plus qu’une eau limoneuse. Les auteurs du temps sont pleins de ces lamentations, que répétaient avec attendrissement les amis de la poésie. Ce fut bientôt le tour des Thermopyles. Ce défilé fameux que trois cents Lacédémoniens avaient défendu jadis contre un million de Perses s’ouvrit à la première sommation d’Alaric : la vue d’un soldat goth suffit pour le forcer. Les provinces situées au midi de l’OEta subirent le sort des autres : en Phocide, en Béotie, une seule ville fut épargnée, Thèbes, que protégeait sa forte situation, et que ses habitans osèrent défendre. Elle eût exigé un long siège, et comme Alaric n’avait pas de temps à perdre, il passa outre.

Athènes l’attirait : le roi goth avait hâte d’arriver à cette ville fameuse qui occupait dans le domaine de l’intelligence et des arts une place comparable à celle de Rome dans le domaine des conquêtes, ou de Jérusalem dans celui des traditions religieuses. Athènes, nous dit un contemporain, n’était plus qu’un mot ; mais ce mot, plein d’enthousiasme, dominait toujours le monde. La gloire passée de l’institutrice des nations survivait à son abaissement actuel. On faisait des pèlerinages à Athènes, comme on en fit plus tard en Palestine, pour visiter une terre sacrée, et le voyageur, rentré dans ses foyers, était fier de lui-même et envié des autres. « Ce n’est pas qu’on en comprenne mieux Aristote ou Platon, disait un de ces pèlerins de la science, mais on a foulé le pavé du Portique et senti sur son front l’ombre des jardins d’Académus. » Toutefois les souvenirs mêmes d’Athènes étaient depuis longtemps mis au pillage par ses maîtres, et récemment encore un des proconsuls romains avait fait détacher des portiques du Pœcile une peinture murale de Polygnote pour décorer on ne sait quel palais de Constantinople. Le passé s’en allait ainsi pièce à pièce sous la main des hommes. Il est vrai que la ville de Minerve revendiquait, outre ses gloires séculaires, une illustration vivante, comme foyer de ce paganisme