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nous combattons, et d’autre part il règne sur les questions de cette nature des idées un peu vagues qu’il est bon de préciser. Quand il s’agit de croisemens entre groupes humains, l’Européen ne songe guère qu’au blanc et au nègre. Dès lors toute autre considération disparaît devant celle de la couleur, et comme celle-ci est assez généralement moyenne, on en conclut qu’il en est de même pour tous les autres caractères. Or rien n’est moins exact. Sans sortir de Paris, en regardant avec quelque attention les mulâtres qu’on rencontre assez fréquemment dans les rues, il est facile de se convaincre que souvent les traits de la figure tiennent bien plus du blanc que du noir, et l’on accumulera sans peine des exemples de juxtaposition parfaitement caractérisés.

En voici un bien remarquable à plusieurs titres, déjà cité par M. Duvernoy, et sur lequel j’ai pu recueillir à la même source que mon ancien maître des renseignemens bien précis[1]. Lislet Geoffroy, ingénieur à l’Ile-de-France, était fils d’une négresse très bornée et d’un Français appartenant aux classes éclairées de la population. Par la couleur, les traits, la chevelure, et jusqu’à l’odeur caractéristique, il reproduisait tous les caractères extérieurs de la race maternelle, de telle sorte qu’on l’eût pris pour un nègre pur sang. S’il s’était agi d’un mouton ou d’un bœuf, on l’eût cité comme un exemple frappant de ressemblance unilatérale ; mais son intelligence et ses sentimens étaient tout européens, si bien qu’il avait vaincu le préjugé de la couleur et s’était fait accepter dans la société. Enfin Lislet Geoffroy est mort correspondant de l’Institut de France. Ici le partage avait été complet : l’homme physique était tout nègre, l’homme intellectuel et moral était tout blanc.

L’exemple de Lislet montre que la couleur elle-même est loin d’être constamment d’une teinte moyenne chez les mulâtres. Ce fait est attesté par une foule d’auteurs, et il résulte de leurs témoignages que la balance penche tout aussi souvent du côté du blanc que du noir. Lawrence, White, Parsons, Prichard, Prosper Lucas, rapportent même un grand nombre d’exemples de mariages mixtes produisant des fils de couleur tantôt claire, tantôt foncée, semblables en tout à de vrais blancs, à de vrais nègres. Parfois, de deux jumeaux incontestablement fils d’un même père, l’un possède la couleur et les cheveux du nègre, l’autre la couleur et les cheveux du blanc. Parmi les faits de cette nature, il en est deux qui gagnent à être rapprochés, le nombre des enfans ayant été le même et les phénomènes

  1. M. Duvernoy et moi-même avons dû ces renseignemens à M. Catoire de Bioncourt, ancien administrateur à l’Ile-de-France, qui a donné toute sa vie des preuves de son amour éclairé pour les sciences, et en particulier pour les sciences naturelles. M. de Bioncourt avait connu personnellement Lislet Geoffroy.