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élevée en domesticité et unie à un chien braque, devint le point de départ de quatre générations d’hybrides, et en eût peut-être fourni un plus grand nombre, si l’expérience avait été continuée[1]. — Bien plus rarement encore on a obtenu ce que quelques auteurs ont appelé des races hybrides résultant de croisemens plus ou moins répétés entre deux espèces différentes[2]. Les deux premiers cas n’ont rien de nouveau, nous les avons rencontrés chez les végétaux, chez les oiseaux, et nous savons qu’ils n’ont pourtant pas conduit à la formation de vraies races hybrides. En serait-il autrement chez les mammifères ? Ici quelques détails sont nécessaires.

Écartons d’abord un exemple qui est devenu pour ainsi dire classique sur la foi de Buffon, qui lui-même avait été induit en erreur par d’anciens voyageurs. Tout le monde a admis que le chameau et le dromadaire donnaient ensemble des produits indéfiniment féconds, soit entre eux, soit avec les deux espèces. On a dit et répété partout que ces hybrides, plus forts, plus vigoureux que leurs parens, étaient extrêmement communs et rendaient en Orient des services analogues à ceux qu’on demande aux mulets en Europe. Eversmann, précisant les faits, indique la Boukharie comme étant le siège de cette industrie[3]. Or depuis longtemps il me paraissait étrange qu’un animal aussi utile ne fût mentionné par aucun des nombreux voyageurs qui ont raconté au public leurs courses en Afrique et en Asie, depuis le Maroc jusqu’en Perse et au-delà. Comment raconter une simple promenade en Espagne ou en Sicile sans parler de mules et de mulets ? L’hybride du chameau était-il donc confiné aux environs de Boukhara ? Serait-ce une production toute locale comme celles dont nous parlerons plus loin ?

Ces doutes, publiquement exprimés, me valurent de la part d’un savant voyageur russe, M. de Khanikof, une lettre dont je reproduis un passage : « J’ai voyagé pendant vingt ans dans toute la partie nord-ouest de l’Asie, où le chameau est élevé ; en 1839, j’ai fait partie d’une expédition militaire dont les bagages étaient transportés

  1. Buffon avait quatre-vingts ans à l’époque de la naissance de la quatrième génération, composée de quatre petits. La mère en mangea deux. On ne sait ce que sont devenus les deux autres.
  2. Ce point de doctrine a été développé plus spécialement en Amérique par Morton et par Nott Types of Mankind, en France par M. Broca dans la brochure que nous avons citée plus haut.
  3. Je ne connais le travail de ce voyageur que par l’extrait donné par Nott ; mais là même on trouverait peut-être l’explication de l’erreur d’Eversmann. Cet auteur admet l’existence de trois espèces de chameaux, le chameau à deux bosses, le dromadaire, qui n’en a qu’une, et le luck, qui, comme ce dernier, n’aurait qu’une seule bosse. Il paraît évident d’après ce fait qu’Eversmann a pris au moins dans ce dernier cas pour des espèces de simples races dont le croisement habituel et fécond n’aurait dès lors rien que de très naturel.