Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

livrèrent à de longs jeûnes. Aujourd’hui encore ils ne parlent de cet événement qu’avec une terreur religieuse[1]. »

Voilà donc tout un peuple qui proteste contre les exagérations indiquées plus haut, qui atteste l’exactitude de Pline et d’Hérodote, qui témoigne de l’excessive rareté de la fécondité chez la mule. Or c’est à elle seule, à l’hybride femelle, que se rapportent les quelques faits précis recueillis pendant une longue suite de siècles. Quant à l’hybride mâle ou mulet, nulle part on ne trouve une seule preuve réelle de son aptitude à la reproduction, et ici encore la science rend compte de cette différence. Gleichen, Bechstein, Prévost et Dumas, Rodolphe Wagner, ont porté l’investigation microscopique chez le mulet ; Brugnone, Gerber, ont de même étudié la mule. De cet ensemble de recherches, il résulte que l’élément mâle est à peu près toujours et complètement transformé de manière à devenir impropre à la fécondation. L’élément femelle, quoique modifié, s’est montré moins profondément atteint, On retrouve donc chez ces hybrides de mammifères le résultat général constaté déjà chez les hybrides de végétaux et d’oiseaux, tant sont communes à tous les êtres organisés et vivans les grandes lois qui président à la reproduction.

Mais ces lois n’établissent pas une identité rigoureuse entre les espèces et laissent en outre à l’action du milieu, à celle de l’homme, une certaine latitude. Nous avons constaté ces faits chez les végétaux, nous les retrouvons chez les mammifères. À diverses reprises, on a vu des hybrides mâles on femelles, croisés avec l’espèce paternelle ou maternelle, se montrer à des degrés divers aptes à la reproduction. Par exemple, un hybride mâle d’ânesse et d’hémione, obtenu au Muséum par les soins de M. Isidore Geoffroy, a fécondé des ânesses et des hémionesses[2]. — Plus rarement les hybrides se sont montrés féconds entre eux et ont donné quelques générations qui se sont succédé ; telle est la fameuse expérience commencée par le marquis de Spontin-Beaufort et poursuivie par Buffon. Une louve prise trois jours après sa naissance, nourrie artificiellement,

  1. Ce passage est extrait du mémoire présenté à l’Académie des Sciences par M. Gratiolet, aide-naturaliste au Muséum, qui avait reçu de M. Schmitt, pharmacien militaire, l’hybride dont il s’agit à l’état de fœtus, car cette grossesse exceptionnelle ne vint pas à terme. Cet avortement chez les mules qui ont conçu est d’ailleurs très fréquent comparativement au nombre des cas cités
  2. Depuis bien des années, M. Isidore Geoffroy a entrepris au Muséum, sur le métissage et l’hybridation, une série d’expériences qui se poursuivent constamment. Nous voudrions pouvoir en citer ici tous les résultats ; mais on comprend qu’il nous faut renvoyer le lecteur à son livre. Disons seulement que toutes les espèces du genre cheval, à l’exception de l’hémippe tout récemment découvert, ont été croisées entre elles et ont donné des produits. Diverses espèces de cerfs ont aussi donné des hybrides remarquables. Une famille d’axis et de pseudo-axis a entre autres donné trois générations hybrides.