Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus pur troupeau de mérinos cinq ou six béliers de races différentes. Il vous répondra en vous montrant nos chiens de rues et nos chats de gouttières. Là se fait en effet une expérience en grand et journalière ; là les races livrées à elles-mêmes et s’alliant en tout sens ont produit cette multitude d’animaux qui n’ont plus de place précise dans nos cadres, mais qui, examinés avec soin et rapprochés méthodiquement, conduiraient par nuances insensibles et graduées à toutes nos races de chiens et de chats les mieux caractérisées[1]. — Chez les animaux comme chez les végétaux, la fécondité facile, continue, indéfinie, soit entre eux, soit avec les races mères, est donc un des caractères des métis. Nous allons constater, en arrivant aux hybrides, le contraste le plus complet.

Remarquons d’abord, avec M. Godron, que dans l’hybride végétal, les organes servant à la nutrition, à l’entretien de l’individu, comme la tige et les feuilles, l’emportent souvent d’une manière très marquée sur ceux qui se rattachent à la vie de l’espèce, c’est-à-dire sur les fleurs. De là résulte dans la plante plus de robusticité et de vigueur. L’hybride animal le plus commun, le mulet, fils de l’âne et de la jument, présente des faits analogues. Voilà pourquoi cet animal est si éminemment propre à rendre les services qui exigent une grande résistance à des fatigues longtemps soutenues ; mais cette circonstance à elle seule annonce que l’équilibre entre les deux ordres de fonctions a été rompu au détriment des fonctions de reproduction, et en effet celles-ci sont tellement réduites que certains naturalistes, même des plus éminens, les ont considérées comme devant toujours disparaître. C’est là une exagération. L’infécondité absolue des hybrides, professée par certains auteurs, attaquée ou défendue au nom de la religion dans les temps du moyen âge et de la renaissance, ne saurait être admise en présence des faits précis enregistrés par la science. En revanche, l’on a récemment exagéré d’une manière étrange et parfois présenté d’une manière inexacte ces mêmes faits. Une courte discussion permettra au lecteur de juger par lui-même, et le convaincra que la fécondité chez les hybrides, nulle dans l’immense majorité des cas, se renferme toujours dans des limites extrêmement restreintes, et a même pour résultat de faire disparaître les traces du croisement.

Parions d’abord des hybrides végétaux. Kœlreuter, à qui l’on doit toujours remonter lorsqu’il s’agit de l’hybridation chez les plantes, n’a pas seulement constaté le fait général de leur infécondité ; il a

  1. Ce fait qui se passe sous nos yeux entre individus domestiques de races différentes, mais de même espèce, justifie l’appréciation portée par les naturalistes, lorsqu’il s’agit des races sauvages. Le lecteur doit comprendre à présent toute la valeur qu’ont en botanique et en zoologie ces séries naturelles graduées dont nous parlions dans une de nos précédentes études.