Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Cachupin passa la nuit dans les plus cruelles alarmes, seule en cette maison isolée, dont elle avait fermé toutes les portes comme si elle eût craint de s’y voir attaquée. Lorsque le lendemain matin Hopwell l’envoya prier de venir partager son déjeuner, elle refusa, alléguant qu’elle était trop souffrante. Vers midi, Hopwell alla lui rendre visite ; elle resta en sa présence muette et interdite. En vain essaya-t-il de la rassurer ; elle tremblait comme si elle eût été en face d’un ennemi, puis tout à coup, éclatant en sanglots :

— Monsieur, lui dit-elle, laissez-moi partir d’ici… Faites seller ma mule, et je m’en irai seule à travers la forêt rejoindre au Mexique mes protecteurs naturels.

— Pas encore, señora, répondit poliment Hopwell, ce soir, demain au plus tard, nous aurons des nouvelles de don Pepo, et alors il sera temps de prendre un parti.

Hopwell se retira, surpris de ce brusque langage, dont il ne comprit pas d’abord la portée ; mais après un moment de réflexion il devina que quelque soupçon avait pu se faire jour dans l’esprit tourmenté de doña Jacinta. Quoique profondément affligé de se voir en butte à une accusation terrible, il aima mieux se taire que d’entreprendre une justification qu’il jugeait inutile. Pendant toute l’après-midi, il courut à cheval par les sentiers de la forêt, espérant voir arriver quelques-uns de ceux qu’il avait envoyés à la recherche de don Pepo. Vers le soir, il revint fort inquiet de ne recevoir aucune nouvelle du Cachupin et décidé à se mettre en campagne dès le lendemain matin. À l’heure du dîner, il entra dans la salle à manger et s’assit devant la table que Cora venait de faire servir. Celle-ci s’empressa de lui offrir un verre de porter noir comme de l’encre, couvert d’une mousse jaune et épaisse. Il l’avala d’un trait et mangea à la hâte quelques tranches de bœuf fumé. Cora, debout dans un coin de la salle, tenait ses regards fixés sur lui ; elle gagna la porte pas à pas, sans bruit, et lorsque Hopwell, pris d’une pâleur livide, se leva brusquement en criant : — Cora, que m’as-tu versé là ?… — celle-ci s’éloignait rapidement du côté de la forêt.


VI

Il y a dans les mouvemens de toute créature qui vient de commettre une action criminelle des signes manifestes de trouble et d’épouvante. Cora courut d’abord droit à la forêt ; puis, effrayée de l’obscurité qui commençait à régner, elle revint se blottir près de la lisière des bois, sous un épais buisson. Elle portait la main sur son cœur pour tâcher d’en modérer les battemens ; des larmes brûlantes