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que son arrivée ne lui avait inspiré d’alarmes. Pareille au serpent dont le venin acquiert plus d’activité à mesure que la température s’élève, Cora puisait dans la chaude atmosphère de cette soirée de printemps un redoublement de haine contre la femme du Cachupin. Elle allait sortir de son embuscade et aborder de front doña Jacinta pour lui arracher le secret de ses larmes, quand un bruit de pas l’arrêta ; elle vit son maître s’approcher et frapper à la porte de l’appartement où doña Jacinta se tenait agenouillée. Celle-ci se releva en frissonnant. — Qu’y a-t-il, monsieur Hopwell ? demanda-t-elle d’une voix tremblante.

Señora, répondit celui-ci, il n’y a encore rien de nouveau ; nous ne pouvons avoir aucune nouvelle avant deux ou trois jours… Prenez courage…

— J’ai du courage plus que je ne le croyais, puisque je ne suis pas morte de douleur, répliqua la femme du Cachupin ; mais le temps se passe, et l’espérance m’abandonne.

— Et cependant peut-être le moment est proche où vous oublierez toutes ces angoisses… Rendu à votre affection, celui que vous aimez et qui vous aime coulera ici même des jours tranquilles. Les tourmens que vous éprouvez aujourd’hui donneront plus de prix au bonheur de demain…

— Vous espérez donc encore ?… dit doña Jacinta avec une sorte d’exaltation.

— Oui, j’espère, répliqua Hopwell.

— Ah ! s’écria doña Jacinta, c’est que vous êtes calme, vous vous possédez, monsieur Hopwell ; mais moi, j’ai la tête perdue… Que deviendrai-je, seule au monde, sans appui, sans affection ?…

— Quelque chose qui arrive, soyez assurée, señora, que je ne vous abandonnerai pas. Cette habitation vous appartient désormais, vous y êtes chez vous ; moi, je quitterai ces lieux, j’y suis décidé, mais ce ne sera qu’après que vous aurez retrouvé votre mari. Si don Pepo ne reparaît pas, je vous reconduirai moi-même au milieu de votre famille.

Ayant ainsi parlé, Hopwell se retira, et doña Jacinta, un peu plus calme, vint s’asseoir dans un fauteuil près de la fenêtre. Ses yeux se tournaient involontairement vers les sentiers de la forêt, bien que l’obscurité de la nuit ne lui permit pas de rien distinguer à cette distance. Ce fut alors que Cora sortit de sa retraite et s’approcha d’elle.

— Vous paraissez souffrante, madame, lui dit-elle d’une voix caressante, si vous avez besoin de mes services…

— Ah ! vous ne pouvez rien pour moi, répondit la femme du Cachupin ; vous ne me rendrez pas ce que j’ai perdu !…