Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Celle-ci baissait la tête et cachait dans ses mains les larmes qui coulaient de ses yeux. — Pauvre amie, reprit le cavalier, l’exil est dur à supporter ! Au nom de leur indépendance, au nom de la liberté, les créoles du Mexique me l’ont infligé. Les fils du pays n’ont pu supporter parmi eux la présence d’un Cachupin[1] qui demeure fidèle à sa patrie. Eh bien ! viva España ! Ils ne m’arracheront ni une plainte, ni une larme.

Parlant ainsi, le cavalier se redressa fièrement et se mit à rouler une cigarette entre ses doigts. Un rayon de soleil, perçant l’atmosphère brumeuse, glissa tout à coup à travers la forêt ; de grands oiseaux de proie, comme s’ils se fussent éveillés subitement, s’élancèrent vers les hautes régions en poussant des cris aigus. L’hiver semblait fuir devant le printemps. Un air doux et tiède ranima instantanément la nature engourdie. La jeune femme, levant la tête à son tour, rejeta le châle de soie qui l’enveloppait, et tourna vers le cavalier son regard voilé de larmes.

— Pepo, dit-elle à voix basse, viens ici, près de moi, ne me quitte pas d’une minute ;… je n’ai plus que toi sur la terre. Il y a dans ces forêts des cris d’oiseau qui me font peur…

— Écoute, Jacinta, écoute ce que je vais te dire, répondit le Cachupin en s’asseyant près de sa compagne. Si tu t’es imposé un sacrifice au-dessus de tes forces en suivant ton mari, si tu regrettes ton pays natal, ta famille, il est temps encore de retourner en arrière… La Sabine est là…

— Ai-je dit que je me repentais ? reprit dona Jacinta. Ai-je laissé échapper une plainte ?

— Non, mais ce silence obstiné, ces larmes qui coulent de tes yeux trahissent ta douleur.

— Je souffre, répliqua la jeune femme ; j’ai froid, la fatigue m’accable… Eh bien ! si je veux supporte, ces misères avec toi et pour toi, Pepo !…

— Tiens, Jacinta, regarde devant toi ; là, à travers ces masses d’arbres, ce que tu vois, c’est la terre mexicaine, c’est ton pays, ta patrie à toi ; tu ne la reverras peut-être jamais !… Là sont tes parens, tes amis, les lieux où se sont écoulées les paisibles années de ton enfance…

— Oui, j’ai tout laissé sur l’autre bord de cette rivière, je le sens ; j’ai tout quitté pour te suivre, toi, à qui je me suis unie pour la vie ! Pepo, Pepo !… donne-moi ta main.

Pepo prit la main de sa femme ; celle-ci se jeta dans les bras de son mari en sanglotant, puis, redressant avec vivacité son front pâle :

  1. Prononcez Catchoupine ; c’est le nom que l’on donne en Amérique aux Espagnols nés en Europe.