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auraient rapporté à la caisse d’épargne moins de 1,500 fr. en quatorze ans, vous auront rapporté une maison qui vaut aujourd’hui 3,000 fr., mais qui alors en vaudra très probablement le double. Et fendant ce temps-là vous aurez été parfaitement logés, à l’abri des caprices d’un propriétaire ; vous aurez joui d’un jardin qui vous aura produit de 30 à 40 francs par an, sans compter les vastes rues, les places plantées d’arbres, la salle d’asile, enfin tous ces établissemens d’utilité publique que vous n’eussiez pas rencontrés dans l’ancienne ville, et qu’on ne fait pas entrer en ligne de compte dans le prix de revient de votre maison. »

Ces raisons toutefois ne firent que lentement leur chemin dans les esprits. Il ne se présentait que peu d’acquéreurs et même peu de locataires. Enfin la lumière s’est faite : aujourd’hui non-seulement toutes les maisons non vendues sont louées, mais il y a demande de location pour les maisons qui viennent d’être terminées en 1860. Quant à la vente, elle a marché si rapidement qu’au mois de novembre 1860, sur 560 maisons bâties, il y en avait 403 de vendues. Voilà donc, au bout de six ans, 403 familles d’ouvriers de Mulhouse qui sont propriétaires de leur maison et de leur jardin ou en train de le devenir, 403 familles soustraites à ces rues malsaines et infectes, à ces chambres délabrées où tout offense les yeux et menace la santé, à ces voisinages compromettans qui obligent trop souvent l’ouvrier rangé de souffrir la compagnie d’un ivrogne, et l’honnête mère de famille d’avoir des relations avec une fille de mauvaise vie. Le père, après son travail, n’est plus obligé de choisir entre un galetas et un cabaret ; il n’y a pas de cabaret dans la ville qui soit aussi gai que sa maisonnette. S’il a quelques momens à perdre avant son dîner, il donne un coup de bêche à son jardin, met un tuteur à un jeune arbre, sème un carré de légumes, arrose une plate-bande. On peut faire des projets d’amélioration, changer un papier, planter un arbre, essayer une culture nouvelle ; il n’y a pas à craindre que le propriétaire mette obstacle à ces améliorations, puisque le propriétaire, c’est le père de famille. Il est doublement chez lui au milieu des siens, dans sa maison, dans leur commune maison, Quand la vieillesse sera venue et que ses bras lui refuseront le service, il ne rougira pas de vivre du salaire de ses fils, puisqu’il aura amplement payé sa dette à la famille. Il vieillira et mourra chez lui, et ses enfans, même en le nourrissant, seront toujours chez leur père. Peut-être leur laissera-t-il un autre héritage que la maison, car au bout de quatorze ans l’habitude d’épargner sera prise, et il pourra placer chaque année les 276 francs de son loyer. Héritage ! Voilà un mot nouveau dans l’histoire d’une famille d’ouvriers. Oui, les enfans succéderont à leur père dans sa propriété ; ils deviendront maîtres à leur tour de ce joli jardin témoin de leur enfance, de ce