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main de l’orfèvre florentin, que partout les talens surgissent. En Italie et en Allemagne, c’est à qui profitera le mieux et le plus tôt de la découverte. La rivalité s’établit presque immédiatement entre les deux écoles, et quinze ans ne se seront pas écoulés encore, que nous verrons déjà l’art allemand se définir aussi nettement dans les œuvres du maître de 1466 que l’art italien lui-même dans les œuvres des graveurs instruits par Finiguerra. Toutefois, avant de constater cette uniformité de progrès, sauf la diversité radicale des tendances et des styles, il est nécessaire de faire en quelques mots la part de la question historique et de remonter aux origines du procédé, comme nous avons recherché tout à l’heure les origines de la gravure sur bois. Hâtons-nous donc de régler ce dernier compte avec certaines exigences de notre sujet, après quoi on abandonnera, pour n’y plus revenir, le domaine des faits incertains et des hypothèses archéologiques.

On a vu que les procédés imaginés d’abord par un imprimeur hollandais et définitivement améliorés par Gutenberg eurent pour résultat de substituer, en ce qui concerne la parole écrite, un mode de reproduction fécond à l’infini et relativement rapide aux lenteurs et aux ressources limitées du moyen xylographique. La typographie devait anéantir l’usage de l’impression tabellaire et, à plus forte raison, réduire à l’office d’une industrie tout exceptionnelle la calligraphie, qui jusqu’alors avait occupé sans relâche, dans les cloîtres et dans les écoles, tant de mains pieuses ou patientes. L’art d’imprimer les estampes fit à l’art des miniaturistes un tort à peu près semblable. Là furent d’abord de part et d’autre le progrès le plus significatif, et nous ajouterions volontiers l’objet principal des innovations. Peut-être cette double révolution, immense à coup sûr si l’on en considère les effets généraux et l’action sur la civilisation moderne, ne prit-elle, dans l’esprit de ceux qui la tentèrent, que les proportions d’un : simple perfectionnement industriel. Est-ce faire injure à Gutenberg par exemple que de ne pas accepter sans réserve les vastes idées politiques ou philosophiques, les intentions d’affranchissement universel qu’on lui a prêtées quelquefois ? Les visées de l’inventeur de la typographie n’allaient probablement ni si haut, ni si loin. Il ne s’attribuait pas, nous le croyons, d’avance et de parti-pris, ce rôle de bienfaiteur du monde, cet apostolat de l’humanité : il croyait n’être qu’un artisan bien inspiré lorsqu’il se proposait de remplacer par des œuvres moins coûteuses et exécutées en vertu d’un procédé plus expéditif les manuscrits que l’on ne se procurait jusque-là qu’à grands frais et à de longs intervalles. Telle avait été déjà l’ambition des imprimeurs xylographes. Le titre même d’un des premiers livres publiés par eux, la Bible des Pauvres, atteste ce désir de mettre à la portée du plus grand nombre une sorte d’équivalent aux exemplaires