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allemands ou français aient eu cours avant cette époque, c’est ce que nous ne songeons nullement à nier ; mais aucun d’eux n’ayant survécu, reste à savoir jusqu’à quel point ils représentaient un progrès de l’art, et dans quelle mesure ils pouvaient servir d’exemples aux autres produits xylographiques, si tant est même que la gravure en relief ait été le moyen employé d’abord pour la fabrication de ces tarots, mentionnés çà et là dans les chroniques[1]. Les cartes gravées en France qui sont parvenues jusqu’à nous feraient croire en tout cas que le progrès fut assez lent, car elles trahissent encore une inexpérience presque absolue de la forme, de l’effet, toutes les timidités d’un art à son enfance. C’est ce qu’il faut dire aussi des œuvres de même espèce exécutées en Allemagne, à l’exception des cartes attribuées à un élève du maître de 1466, et d’ailleurs gravées sur métal. En Italie seulement, les cartes, ou plutôt les pièces emblématiques connues à tort ou à raison sous le nom de giuoco di tarocchi, acquerront, au point de vue de l’art, une importance véritable, lorsque la gravure en taille-douce aura commencé de remplacer la gravure sur bois. Les artistes initiés par Finiguerra aux secrets du nouveau procédé feront preuve de goût, de fermeté et de finesse, et, dans ces travaux secondaires comme dans les travaux d’un ordre plus élevé, leur talent ouvrira enfin l’ère des progrès sérieux et des découvertes fécondes.


II. — GRAVURE SUR METAL.

Nous voici parvenus à ce moment décisif où la gravure, riche de nouvelles ressources et pratiquée pour la première fois par des maîtres, va se révéler, à vrai dire, et léguer de sûrs exemples aux générations d’artistes qui suivront. Jusqu’ici, la maigre habileté de quelques graveurs sur bois a résumé seule les débuts de l’art et l’histoire de ses premiers progrès ; plus de progrès douteux maintenant, plus d’efforts interrompus ni d’hésitations d’aucune sorte. À peine le moyen de reproduire par l’impression une planche gravée en creux vient-il d’être, sinon trouvé, au moins consacré par la

  1. Le doute est en effet bien permis sur ce point, et l’on aurait même quelque droit de penser que la gravure en relief n’intervint dans la fabrication des cartes à jouer qu’à titre de perfectionnement. On ne saurait admettre, il est vrai, que la peinture seule ait pu tout défrayer et satisfaire au vœu de tous les acheteurs. Les procédés longs et coûteux de l’art n’auraient pas suffi pour créer cette popularité que les cartes avaient acquise vers la fin du XIVe siècle, comme l’attestent plusieurs édits prohibitifs et les fréquentes réprimandes adressées aux joueurs par les prédicateurs du temps. Il fallait donc que quelque procédé moins dispendieux et plus expéditif fût dès lors en usage. Toutefois où trouver la preuve qu’il s’agit déjà de la gravure sur bois ? Ne pouvait-on, en attendant mieux, se servir de patrons découpés analogues à ceux qu’employaient parfois les calligraphes, et la méthode usitée encore aujourd’hui pour le coloriage des cartes ne semble-t-elle pas une sorte de ressouvenir du mode d’exécution primitif ?