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La découverte de l’imprimerie procède sans doute des exemples fournis par la gravure sur bois, et sans doute aussi les premiers essais typographiques s’accomplirent en Hollande ; mais quand Coster ou tout autre précurseur de Gutenberg frayait tant bien que mal la voie à celui-ci, la peinture et les arts qui s’y rattachent avaient acquis dans les Pays-Bas un développement que, l’Italie exceptée, l’art d’aucun pays n’avait pris encore. Parmi les Allemands contemporains de Hubert et de Jean van Eyck, quel rival trouverait-on à opposer à ces deux maîtres, quel chef d’école dont l’influence ait été aussi notoire et l’enseignement aussi fécond ? Tandis que, de l’autre côté du Rhin, des artistes peu dignes de ce nom, des imagiers sans talent continuaient la tradition et les formules gothiques transmises par leurs devanciers, l’école de Bruges renouvelait ou plutôt constituait l’art national, et dès le commencement du XVe siècle la révolution était accomplie déjà dans cette école qu’honoraient alors les van Eyck, que Hemling allait bientôt achever d’illustrer. Quelques années encore, et l’Allemagne, il est vrai, pourra se glorifier d’un succès à peu près pareil ; mais le mouvement ne se détermine qu’après la seconde moitié du siècle. Tout jusque-là reste immobile, tout accuse des doctrines indigentes, une impuissance en quelque façon systématique. Si l’on juge par exemple de l’état de l’art allemand à cette époque sur des œuvres comme le Saint Christophe de 1423, nul doute que de tels spécimens, rapprochés des productions contemporaines de l’école flamande, ne démontrent avec évidence la supériorité de celle-ci. Quoi de plus naturel dès lors que là où l’habileté des peintres, des orfèvres, de tous les artistes en général, l’emportait si ouvertement sur le mince savoir-faire des hommes nés dans un pays voisin, les graveurs, eux aussi, aient devancé les progrès qui allaient s’accomplir ailleurs, et pris rang les premiers dans l’histoire de l’art ? Les preuves manquent, dira-t-on ; soit. Nous ne nous autorisons ni de la découverte de la Vierge conservée aujourd’hui à la bibliothèque de Bruxelles et portant le millésime de 1418, puisque l’authenticité de cette date, sans équivoque pourtant à nos yeux, a été contestée, ni de quelques pièces anonymes qu’il semblerait assez juste de restituer à la vieille école des Pays-Bas[1]. Jusqu’à présent, l’Allemagne seule

  1. Tel est du moins l’avis d’Ottley en ce qui concerne la Bible des Pauvres, livre à figures xylographiques dont les origines ont été fort diversement appréciées par les iconographes, et que beaucoup d’entre eux regardent comme antérieur même à la première édition du Speculum. Suivant sa coutume, Heinecke réclame pour l’Allemagne l’honneur d’avoir produit ce précieux recueil, qu’Ottley, avec plus de raison, a ce qu’il semble, croit l’œuvre d’un artiste des Pays-Bas qui aurait travaillé vers l’an 1420. L’Allemagne serait en droit de revendiquer seulement les planches ajoutées dans les éditions allemandes que l’on publia quarante ans plus tard, planches dont Ottley a constaté le caractère inférieur. An inquiry into the origin and early history of engraving, t. Ier.)