Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/983

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des figures et des caractères fixes taillés dans une planche de bois, ait précédé l’invention de l’imprimerie en caractères métalliques et mobiles, — cela, il est vrai, ne saurait être mis en doute. Des pièces à date authentique, telles que le Saint Christophe de 1423 et quelques estampes gravées dans le cours des années suivantes, prouvent avec une autorité irrécusable l’antériorité du procédé xylographique. Reste à savoir si ces pièces sont les premières que l’on ait gravées en Europe. Marquent-elles le début de l’art ou seulement l’un de ses progrès ? Sont-elles, en un mot, des types sans précédens, ou n’ont-elles eu que la bonne fortune de survivre à d’autres monumens plus anciens de la gravure sur bois ? Suivant Papillon, qui rapporte à ce propos je ne sais quelle anecdote au moins suspecte, les premiers essais auraient eu lieu à Ravenne avant la fin du XIIIe siècle. Deux enfans de seize ans, un chevalier Albéric Cunio et sa sœur jumelle Isabelle, se seraient avisés, en 1284, de graver sur bois « à l’aide d’un petit couteau » et d’imprimer, — par quelque procédé aussi simple apparemment, — une suite de compositions sur les chevaleureux faits du grand Alexandre. Les parens et les amis des deux jeunes graveurs reçurent chacun un exemplaire de ces compositions, puis tout fut dit sur la découverte jusqu’au jour où Papillon en retrouva miraculeusement les traces dans la bibliothèque d’un officier suisse retiré à Bagneux. Par malheur, sa trouvaille une fois faite, Papillon se contenta de la décrire. Il ne songea ni à lui assurer une publicité plus concluante, ni même à s’enquérir des destinées de ce livre que lui seul avait vu. Le recueil des chevaleureux faits du grand Alexandre disparut de nouveau, et cette fois pour ne plus reparaître. Faute de tout moyen de contrôle, le plus sûr est donc de n’accorder qu’un médiocre crédit à l’habileté précoce des jumeaux de Ravenne, à leurs essais xylographiques et aux assertions de leur panégyriste, bien que des juges très compétens, l’abbé Zani et M. Émeric David, n’aient pas hésité à admettre le tout comme suffisamment authentique.

Le savant Zani avait, je l’accorde, ses raisons pour croire à ce sujet Papillon sur parole : s’il se fût agi d’un fait tendant à établir la préexistence de la gravure en Allemagne, il l’eût probablement examiné de plus près et avec une confiance moins empressée ; mais la gloire de l’Italie se trouvait ici directement en cause, et Zani, si honnête homme qu’il fût, ne se sentait pas d’humeur à accueillir froidement, encore moins à rejeter un témoignage qui pouvait, faute de mieux, consoler son amour-propre national et jusqu’à un certain point le venger de ce que les Italiens appelaient « la vanité germanique. » Orgueil eût été mieux dit, car, en ce qui concerne les débuts de la gravure sur bois, les prétentions de l’Allemagne se fondent sur des titres plus sérieux, sur des documens beaucoup plus positifs