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comme de beaucoup d’autres secrets dans l’histoire de l’art. Ces secrets deviennent d’autant plus impénétrables qu’on sacrifie davantage l’esprit à la lettre, l’étude immédiate et naïve des monumens en cause à l’examen des textes qui les interprètent ou de certains faits qui semblent les accuser. Quelles objections tirées des dires ou du silence des historiens n’a pas soulevées de nos jours dans le monde savant l’apparition de ces trois chefs-d’œuvre : la fresque de San-Onofrio, l’Apollon et Marsyas de Raphaël et la Vierge de Michel-Ange ! Toutes les circonstances propres, de près ou de loin, à en compromettre l’authenticité, tous les argumens en faveur du doute ont été recueillis, produits, commentés par les archivistes jurés et les docteurs. Qu’est-il advenu cependant de ces protestations systématiques ? Les artistes en ne consultant que leur sentiment et leurs yeux, la critique en faisant meilleur marché des souvenirs extérieurs que de la signification intime et de l’excellence pittoresque des trois morceaux remis en lumière ont su voir plus loin et plus juste. On a sagement laissé dire les incrédules, et l’on est allé chercher, on a trouvé la foi dans le spectacle direct des œuvres qu’ils discutaient à distance et le regard fixé sur les livres. Telle est en toute occasion le devoir de la critique, tels sont aussi les services qu’elle peut rendre et l’autorité qui lui appartient : autorité bien secondaire assurément auprès de l’éloquence propre à l’art lui-même, mais plus efficace et plus sûrement sympathique que la puissance de l’archéologie, parce que celle-ci ne résulte après tout que d’un travail minutieux de comparaison, d’efforts auxquels la mémoire a plus de part que l’indépendance de l’esprit et l’initiative personnelle, parce qu’enfin, si elle réussit à corriger nos erreurs matérielles, elle ne suffit ni pour nous préserver d’erreurs plus graves, ni pour nous enseigner de plus hautes vérités.

Et d’ailleurs, en s’imposant la mission de détruire tous les préjugés de détail, d’articuler tous les faits et de restituer toutes les dates, la science moderne n’introduit-elle pas trop souvent la confusion là où elle prétendait rétablir l’ordre ? A force de vouloir nous donner la notion positive des choses, ne court-elle pas le risque de décourager notre zèle ou de lasser notre attention ? Les difficultés dont on hérisse l’histoire de l’art, les menues curiosités, les hypothèses, les démentis aux traditions, tout cela tend plutôt à installer le scepticisme qu’à renouveler utilement nos croyances ; tout cela réussit mieux à alimenter entre initiés la controverse qu’à intéresser le public aux questions qui importent, aux actes hautement méritoires et aux progrès de l’art lui-même. La gloire de l’école française par exemple s’est-elle beaucoup accrue de l’exhumation de certains titres où figurent les noms d’artistes dont nul ouvrage n’a survécu ? Le mal n’était pas grand peut-être d’avoir, pendant trois