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des modifications subies. C’est la modification elle-même, se manifestant toujours d’une manière constante et générale, qui est à nos yeux le fait capital, car elle démontre qu’il s’est formé, sous l’influence de conditions d’existence nouvelles, une race nègre américaine dérivée de la race nègre africaine. Or c’est là ce que l’évidence amène les disciples de Morton à reconnaître quand il s’agit de l’Amérique, quelque opposé que soit cet aveu à tout ce qu’ils ont dit dans les chapitres du même ouvrage consacrés à l’Égypte.

Pour démontrer que les races blanches, les peuples européens, présentent des faits analogues, nous n’aurions, à vrai dire, que l’embarras du choix. Chacun d’eux a pour ainsi dire ses sous-races dans les colonies qu’il a fondées. Ne pouvant les passer tous en revue, voyons ce qu’est devenue la race anglaise sous les climats divers où elle s’est répandue et multipliée. Certes aucune autre, on le sait, ne transporte dans ses migrations avec un soin égal les croyances, les mœurs et jusqu’aux habitudes journalières de la mère-patrie ; aucune en un mot ne s’enveloppe pour ainsi dire avec autant de scrupule de tout ce qu’il est possible de conserver dans ses conditions d’existence originelles ; aucune par conséquent n’apporte dans ses luttes avec de nouveaux milieux autant de moyens de défense, et cependant nous allons voir que c’est encore au milieu que reste la victoire, et que la race anglaise, comme toutes les autres, se modifie en s’expatriant.

En Australie, les caractères anglais sont entamés dès la première génération. Voici ce qu’écrivait Cuningham en 1826 : « Les currencys[1] deviennent grands et sveltes comme les Américains, et sont en général remarquables par le caractère saxon des cheveux blonds et des yeux bleus ; mais leur teint, dans la jeunesse même, est d’un jaune pâle. Dans un âge plus avancé, ils sont facilement reconnaissables auprès des individus nés en Angleterre. Les joues de rose ne sont point de ce climat, non plus que de celui de l’Amérique, où un teint fleuri attirera indubitablement cette observation : — Vous êtes du vieux pays, vous ? » On voit que Cuningham constate deux faits à la fois. Suivons-le donc en Amérique ; là l’expérience, déjà plus ancienne, a donné des résultats plus évidens et mieux étudiés.

Déjà, dans son Histoire des Indes occidentales, Edwards avait remarqué, entre autres changemens, l’augmentation de la taille et l’agrandissement des orbites. Plus tard, Smith, Carpenter, etc, ont signalé d’autres modifications, et le premier, frappé de la tendance générale qu’elles indiquent, n’avait pas hésité à dire qu’abandonné à lui-même, l’Anglo-Américain se transformerait en Indien semblable

  1. On donne ce nom aux créoles australiens, par opposition aux sterlings, nom appliqué aux Européens.