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plus fluide et plus pâle. — L’intelligence elle-même participe à ce mouvement. M. de Lisboa déclare qu’au Brésil, en dépit des précautions prises pour tenir les nègres dans l’ignorance, le nègre créole est, dès les premières générations, bien plus intelligent que la souche originelle. Enfin M. Elisée Reclus, confirmant par ses observations propres tout ce qui précède, s’exprime de la manière suivante dans une étude que n’ont pas oubliée les lecteurs de la Revue : « Nous ne voulons pas toucher à la question brûlante de l’esclavage ; nous constaterons seulement un fait certain, le progrès constant des nègres dans l’échelle sociale. Même sous le rapport physique, ils tendent sans cesse à se rapprocher de leurs maîtres. Les nègres des États-Unis n’ont plus le même type que les nègres d’Afrique. Leur peau est rarement d’un noir velouté, bien que presque tous leurs ancêtres aient été achetés sur la côte de Guinée ; ils n’ont pas les pommettes aussi saillantes, les lèvres, aussi épaisses, le nez aussi épaté, la laine aussi crépue, la physionomie aussi bestiale, l’angle facial aussi aigu que leurs frères de l’ancien monde. Dans l’espace de cent cinquante ans, ils ont, sous le rapport de l’apparence extérieure, franchi un bon quart de la distance qui les séparait des blancs[1]. » Voilà à quelle appréciation les faits qui se passent à la Louisiane conduisaient un observateur intelligent, et qui n’avait évidemment aucun parti-pris dans la question qui nous occupe.

Voici qui est plus concluant encore : toutes les appréciations qui précèdent sont acceptées comme vraies dans ce qu’elles ont d’essentiel par MM. Nott et Gliddon eux-mêmes[2]. Ces deux auteurs, partisans si déclarés de la multiplicité des espèces humaines et de l’invariabilité de ces espèces, ne peuvent s’empêcher d’avouer que le nègre créole des États-Unis a gagné physiquement et intellectuellement. Ils vont jusqu’à donner deux portraits où certes on ne reconnaîtrait guère le type africain[3]. Sans doute ils cherchent à atténuer la signification de ce fait si grave en l’attribuant au contact habituel avec les blancs et à l’amélioration du régime, en affirmant que le double progrès dont nous parlons s’arrête dès la seconde ou troisième génération. De ces deux assertions, la première a sans doute beaucoup de vrai ; la seconde est contredite par une foule de faits, et fût-elle exacte de tout point, on expliquerait aisément cet arrêt si brusque par la situation que la loi dans les états à esclaves, les mœurs dans les états libres, font à tout individu nègre, et par suite à la race entière. Toutefois nous ne voulons discuter ici ni la cause ni l’étendue

  1. Le Mississipi et ses bords., — le Delta et la Nouvelle-Orléans, livraison du 1er août 1859.
  2. Types of Mankind, — Negro type.
  3. On comprend que ces portraits ne sont pas flattés, et les auteurs avouent eux-mêmes que l’un d’eux est une vraie caricature may be considered caricatured.