nous avons vu les chiens marrons d’Amérique garder la trace des modifications propres aux races domestiques d’où ils descendent.
Un autre fait non moins intéressant pour nous, et qui ressort des expériences de sélection, c’est que, dans une race que l’on cherche à modifier, les caractères ne cèdent pas avec la même facilité. Darwin nous apprend que sir John Sebright, le plus habile éleveur de pigeons, n’hésite point à dire : « En trois ans, je puis produire n’importe quel plumage qui m’aura été indiqué ; mais il me faut six ans pour façonner une tête ou un bec. » D’autre part, lorsque Bakwell et ses successeurs ont voulu réduire le squelette du leicester et activer son engraissement, ils n’ont pu réussir au même point que les frères Collins, qui agissaient pourtant par des procédés tout semblables sur la race de la Tees. Cette expérience, poursuivie pendant bien des années par les plus habiles éleveurs d’Angleterre, établit donc que certains caractères de race persistent en dépit des influences les plus propres à les effacer. Ces faits, empruntés à une industrie toute récente, mais qui atteint déjà une perfection remarquable, trouveront bientôt leur application dans l’histoire de l’homme.
C’est surtout par la sélection que l’homme perfectionne ses races domestiques, c’est-à-dire qu’il accroît, parfois jusqu’à l’exagération, les caractères en harmonie avec ses besoins. C’est aussi par elle qu’il fixe dans une série de générations constituant dès lors une race les caractères de ces variétés singulières qui apparaissent de loin en loin. Tous les ancons, par exemple, descendent d’un bélier d’abord unique. Semblable à ses frères sous tous les autres rapports, cet animal avait les jambes trop courtes pour franchir les barrières dans lesquelles on tentait vainement de parquer les autres moutons. Il y avait là un avantage trop évident pour échapper à l’esprit pratique d’un fermier américain. Aussi chercha-t-on à multiplier ce mouton-basset. Marié à des brebis dont les pattes présentaient la longueur ordinaire, ce père anomal engendra des fils dont quelques-uns seulement reproduisaient à des degrés divers son caractère exceptionnel. Ce furent ceux-ci qu’on rapprocha les uns des autres, et en assez peu d’années la race loutre fut créée. Les choses se sont passées de même pour nos mauchamps. à la vue de cette laine qui ressemblait à de la soie, M. Graux comprit tout le parti que pourrait en tirer un jour l’industrie ; mais la formation de la race présentait ici des difficultés très multipliées. Le jeune agneau dont il s’agissait de la faire sortir était faible et mal bâti ; il fallait rendre ses fils robustes et bien faits tout en leur conservant là toison spéciale du père. Une sélection intelligente continuée pendant plusieurs années a résolu ce double problème, et c’est ainsi que M. Graux est parvenu à doter la France d’une race de moutons entièrement