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à autant de souches différentes, en faisant par exemple du chien à jambes courtes et torses une espèce distincte. Nous demanderons d’abord qu’on nous dise d’où pourrait venir cette espèce, semblable au chien pour tout le reste, et dont on ne trouve de traces nulle part ailleurs que dans nos chenils ; mais dût cette explication, — qui n’en est pas une, — être acceptée pour le chien, elle ne saurait s’appliquer à la race ancon, ou race loutre, qui répète chez les moutons les caractères du basset. L’origine de celle-ci est parfaitement connue. C’est en 1791, dans le Massachusetts, que naquit le premier bélier présentant cette singulière conformation, et c’est de lai que sont descendus tous les ancons, aujourd’hui si répandus dans les fermes des États-Unis. De même tous les mauchamps qui vivent à Mauchamp même, à Gévrolles, à Rambouillet, descendent d’un agneau unique à laine droite et soyeuse né en 1828 au milieu d’un troupeau de mérinos ordinaires[1].

Ces faits contemporains, enregistrés et étudiés par l’industrie aussi bien que par la science, jettent évidemment un grand jour sur l’origine de nos races les plus excentriques. Le chien basset n’a rien de plus étrange que le mouton loutre, et nous savons, à n’en pas douter, que celui-ci, bien loin d’être une espèce distincte, n’est qu’une race fort récente. Nous savons de plus que cette race a eu pour origine un individu d’abord unique, fils de père et de mère dont les proportions n’avaient rien d’anomal. Il faut donc bien reconnaître que l’espèce animale peut, à un moment donné, présenter de singuliers écarts et produire des individus fort éloignés sous certains rapports de leur type spécifique. Il faut bien admettre que ces individus anomaux, ces variétés brusquement apparues, peuvent devenir le point de départ d’autant de races nouvelles. Toutefois il n’en est pas toujours ainsi, et l’étude des conditions qui favorisent ou contrarient l’établissement de ces races doit maintenant nous occuper.


II. — FORMATION DES RACES ANIMALES.

La variété une fois apparue, l’individu qui s’est écarté du type devient parent à son tour. En vertu de la force d’hérédité, il tend à reproduire dans son descendant les caractères spéciaux qui le distinguent ; mais celui-ci se trouve dès l’origine placé dans un milieu dont l’action s’exerce sur lui. Ce milieu ne saurait être identique avec celui qui a au moins concouru à produire les caractères différentiels

  1. On ne peut que rattacher au même ordre de phénomènes, c’est-à-dire à la formation d’une variété très exceptionnelle, l’apparition dans des couvées dirigées par Mme Passy de ces poulets velus dont nous avons parlé dans notre précédente étude. Il est vivement à désirer, si ce fait vient à se reproduire, que l’expérience soit suivie comme l’a été celle de M. Graux dans la création de la race mauchamp.