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ici servir, d’exemple. Le bœuf, livré à lui-même dans les plaines basses de l’Amérique, perd son poil en tout ou en partie. Dans son jeune âge, la poule fait de même, et c’est encore à M. Roulin que nous devons la constatation de ce fait curieux. Dans certaines contrées de l’Amérique méridionale, le poussin, au sortir de l’œuf, au lieu d’être couvert d’un duvet épais et serré comme il l’est en France et en Angleterre, vient au monde avec un duvet très rare et très fin qu’il perd bientôt. Il reste alors, entièrement nu, ou plutôt il ne garde que les grosses plumes de l’aile, qui poussent comme à l’ordinaire. Or on n’observe ces modifications que chez les poulets dont les ancêtres ont vécu depuis longtemps dans ces régions brûlantes. Ceux qui sortent de familles importées depuis peu naissent avec leur vêtement ordinaire, et le gardent comme en Europe jusqu’à l’apparition des vraies plumes. Sous ce climat, dont la température ne descend guère au-dessous de 20 degrés, la chaleur, en exaltant outre mesure les fonctions de la peau proprement dite, affaiblit d’autant celles des organes producteurs du duvet : elle a ainsi restreint par une action indirecte le développement de cette couverture naturelle, qui, dans les pays froids, protège le jeune oiseau ; elle a par conséquent mis la race de ce pays chaud en harmonie avec ses nouvelles conditions d’existence. Pour compléter la démonstration et mettre hors de doute le rôle de la chaleur, ajoutons avec M. Roulin qu’en Amérique même on ne trouve ces poulets nus que dans les régions les plus chaudes, et que partout ailleurs le petit de la poule créole conserve son plumage d’enfance comme en France, comme en Angleterre.

Dans le cas précédent, l’action du milieu, quoique indirecte, se démontre aisément, grâce aux lois physiologiques ; mais la science est moins heureuse dans bien d’autres. Nous ne pouvons encore préciser quelles circonstances ont pu déterminer l’apparition du premier bœuf, du premier mouton, de la première chèvre sans cornes, ou celle du premier bélier portant plus de deux cornes. Rien ne permet d’expliquer comment d’un père et d’une mère ayant les jambes bien proportionnées a pu naître le premier chien basset. Faudra-t-il pour cela recourir à l’innéité ? Non, car nous avons vu que l’existence d’une force spéciale poussant à la variabilité serait en désaccord avec les faits les plus généraux. Sous peine d’admettre des effets sans cause, il faut donc, voir dans ces phénomènes le résultat de quelqu’une de ces actions de milieu, directes ou indirectes, que nous avons tant de fois constatées, mais qui se dérobe ici à nos investigations, probablement par suite de la complication des phénomènes, et ne se révèle que par les résultats.

Il est vrai qu’un certain nombre de naturalistes, et surtout les polygénistes, tranchent la difficulté en rattachant ces races exceptionnelles