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de milieu. Celles-ci ont toutes peut-être, à des degrés divers, une part de vérité au moins dans leur tendance générale, et alors qu’il s’agit des variétés individuelles seulement ; mais dès qu’il est question des races, elles sont d’ordinaire trop étroites et trop absolues. À peu d’exceptions près, on peut leur reprocher d’avoir attribué à l’hérédité un rôle trop exclusivement conservateur, au milieu un rôle uniquement modificateur. Or l’analyse des faits montre qu’il en est tout autrement, et que ces deux forces, tantôt en lutte, tantôt concourant à un but commun, produisent tour à tour les deux résultats contraires, selon les circonstances. Dans les phénomènes complexes qui résultent de leur action, le milieu apparaît d’ordinaire comme le régulateur suprême. Agent de modification s’il se modifie lui-même, il devient agent d’invariabilité s’il ne change pas. L’hérédité, conservatrice par essence, joue un rôle considérable dans la formation des races ; souvent aussi elle ne fait que traduire les effets du milieu, et, soit pour ce motif, soit par suite de phénomènes qui lui sont propres, elle devient une cause de variabilité. Essayons de démontrer sommairement ces propositions.

Si l’on conçoit par la pensée un être unique engendrant un autre être en dehors de toute cause perturbatrice, notre esprit ne percevra entre le parent et le produit aucune cause de dissemblance. Dans ces conditions, la loi de l’hérédité serait évidemment de reproduire en tout point l’être premier. Aristote, qui attribuait tout au père dans l’acte de la génération, pensait si bien ainsi qu’il regardait la différence des traits entre le père et le fils, et surtout la production des filles, comme de véritables cas de monstruosité[1] ; mais l’on sait aujourd’hui que les doctrines d’Aristote sur cette question délicate péchaient par la base. Le père et la mère concourent, chacun pour sa part, à la production du nouvel être. À celle-ci est dévolu le soin de préparer le germe, l’œuf, qui sera fécondé par celui-là. En outre les deux parens sont des êtres organisés : à l’intérieur, ils sont le siège de phénomènes variables ; à l’extérieur, ils vivent dans un milieu, très mobile qui agit constamment sur eux. Cet en, semble de conditions entraîne une foule de conséquences, parmi lesquelles nous n’avons à examiner que celles qui intéressent la variation du type.

Remarquons d’abord que la tendance de l’hérédité à reproduire l’être générateur tout entier n’est pas seulement une conception de l’esprit, mais qu’elle ressort clairement de l’observation directe. L’hérédité ne transmet pas seulement la ressemblance générale et chacun des traits spéciaux, tels que la taille, les proportions, la

  1. L’opinion d’Aristote en ce qui touche le sexe féminin a été reproduite dans ces derniers temps sons une forme un peu différente. Quelques anatomistes ont voulu ne voir dans la femme qu’un homme frappé d’arrêt de développement.