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et aux administrateurs turcs. Et comme il n’est guère vraisemblable que les administrateurs turcs soient possédés par le fanatisme, comme à écouter tous les témoignages de l’enquête anglaise, ils sont plus disposés à faire fortune en ce monde en dépouillant les chrétiens qu’à faire leur salut dans l’autre monde en persécutant pieusement les infidèles, il s’ensuit que l’empire ottoman ne périt pas par le fanatisme des musulmans, mais par la rapacité et la corruption des administrateurs turcs. Le fanatisme ébranle et détruit quelquefois les empires ; il ne les fait pas mourir de consomption. Les vices ont souvent pour les sociétés quelque chose de plus funeste et de plus mortel que les. crimes, La société française a survécu1 aux horreurs de la Saint-Barthélémy et de 93. Aucune société ne pourrait survivre au ramollissement progressif de la moralité. C’est là une maladie mortelle, et qui rend incurable l’agonie de l’empire ottoman.

« Parmi les vexations dont la population chrétienne a lieu de se plaindre, y en a-t-il, dit sir Henri Bulwer, qu’on puisse attribuer aux autorités chrétiennes elles-mêmes[1] ? » La question de sir Henri Bulwer est importante : nous verrons tout à l’heure pourquoi. Le consul de Monastir n’y répond pas complètement : « Il faut, dit-il, attribuer souvent les vexations que supportent les chrétiens à la conduite des autorités chrétiennes. Les membres chrétiens des medjlis n’ayant aucun pouvoir réel et ne pouvant jamais avoir un autre avis que celui de leurs collègues musulmans, ils ne sont pas en état de protéger leurs coreligionnaires contre l’injustice. » A prendre cette réponse, les autorités chrétiennes dans la Turquie d’Europe ne pécheraient que par faiblesse. Ce n’est pas là, si je ne me trompe, ce que sir, Henri Bulwer demandait à ses consuls. Il voulait savoir si les autorités chrétiennes, et particulièrement les autorités ecclésiastiques, n’étaient, pas souvent aussi oppressives et aussi vexatoires envers les chrétiens que les autorités, turques elles-mêmes. Cette question a son à-propos, et la séparation qui vient de se faire entre l’église grecque et les Bulgares, montre que les chrétiens d’Orient peuvent avoir contre les chefs de l’église grecque des griefs aussi graves que ceux qu’ils ont contre l’administration turque. Le consul anglais de Salonique, M. Calvert, comprenant mieux que son collègue de Monastir la question de sir Henri Bulwer, répond que « les autorités chrétiennes (et il entend par ce mot les chefs spirituels et les primats de l’église grecque) sont plus rapaces et plus tyranniques dans leur petite sphère que les fonctionnaires turcs dans une sphère plus étendue. Les évêques et les métropolitains se rendent coupables d’actes d’oppression et de cupidité envers leurs fidèles qui, s’ils étaient commis par les Turcs, ne manqueraient pas de faire

  1. Quatorzième question.