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« Parmi les beys dont je viens d’indiquer la conduite, dit M. Abbott, il faut signaler Halil-Bey, le principal membre du medjlis, qui dirige l’administration de la province, grâce à sa fortune, illégalement amassée, et à l’influence qu’elle lui donne. Il est fort mal disposé pour les étrangers, et c’est un ennemi dangereux pour les commerçans et les cultivateurs qui s’opposent à ses volontés. Dans les branches inférieures de l’administration, il y a, je suis fâché de le dire, une grande avidité et une grande vénalité. Les fonctionnaires augmentent leurs traitemens, qui sont insuffisans, par toute sorte de moyens injustes. Il y a de grandes plaintes contre les multezims qui afferment les revenus de la province. Les paysans soutiennent que ces fermiers et leurs délégués lèvent le double et le triple de l’impôt qui est dû, et qu’ils réduisent ainsi les contribuables à la plus extrême misère. »

Voilà le résumé exact de la première partie de la dépêche de M. Abbott. Le même consul disait en commençant sa dépêche : « Les Bulgares et les Grecs, s’ils regardent dix, quinze ou vingt ans en arrière, pourraient avoir à se plaindre de l’oppression ; mais maintenant la différence est grande. » Je lisais récemment, dans le récit des souffrances que M. d’Escayrac de Lauture a éprouvées en Chine, que, placé dans une charrette hérissée de clous pointus, il souffrait cruellement quand la voiture allait au galop sur des routes raboteuses, et qu’il souffrait moins quand la charrette faisait halte. Est-ce qu’à ce moment il était tenu de se trouver heureux et de remercier ses bourreaux de leur clémence ? Les chrétiens ont souffert sous les Turcs tant de cruautés et tant d’avanies, qu’ils peuvent en souffrir aujourd’hui quelques-unes de moins et-être encore très malheureux. Ne sont-ils pas excusables de se plaindre et de faire en sorte que leurs plaintes arrivent aux oreilles des puissances européennes ? Y a-t-il en effet une autre protection en Turquie que celle des consuls étrangers ? Je suis même persuadé que si les chrétiens ne se plaignaient qu’aux consuls anglais, M. Abbott ne blâmerait pas l’impatience que les chrétiens témoignent de leurs maux ; peut-être se sont-ils plaints aux consuls français ou aux consuls russes : voilà ce qui déplaît à M. Abbott. À Dieu ne plaise que je croie et