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les tarifs de douane, les prohibitions, les restrictions, tout ce qui peut l’effrayer et lui faire obstacle. Il est toujours bien loin devant nous, ne s’arrêtant parfois que pour reprendre haleine, et se remettant en course à mesure que nous nous précipitons pour le saisir. Le libre-échange lui-même ne l’atteindra pas. Qu’ils se rassurent donc, ces industriels si prompts à s’effrayer des réformes douanières, des traités de commerce, de toutes les mesures qui sembleraient devoir, par la concurrence, amener l’avilissement des prix ! La statistique leur démontre que la réduction d’un tarif n’est point nécessairement accompagnée d’une baisse dans la valeur des produits qui s’échangent sur un marché agrandi. Elle leur prouve en même temps que dans tous les pays, et en France peut-être plus qu’ailleurs, les mesures libérales qui ont accueilli la concurrence étrangère ont le plus souvent été suivies d’une recrudescence de travail, qui a trouvé dans l’accroissement de la consommation générale une rémunération lucrative et facile. La science elle-même peut s’éclairer aux lumières que prodigue la statistique sur ces capricieuses évolutions des prix ; elle y apprendra surtout à définir mieux qu’elle ne l’a fait jusqu’ici ce que, dans le langage vulgaire trop aisément adopté par elle, on désigne par le nom de bon marché. Le bon marché n’est pas ce qu’un vain peuple pense, une simple diminution du prix de vente évalué en monnaie : ainsi entendu, il ne procure à une société ni l’aisance ni la richesse ; il n’est point démocratique, bien qu’il soit si populaire. Non, le bon marché réside surtout dans l’abondance du travail, qui amène naturellement l’abondance et l’élévation du salaire. Qu’importe que le prix d’une denrée augmente, si le prix du salaire avec lequel cette denrée se paie augmente dans une égale proportion ? Et si la valeur des services, si le salaire s’élève dans une proportion plus forte, alors se manifeste effectivement le phénomène du bon marché, car la même somme de travail correspond à une plus grande faculté de consommation. Il ne faut donc pas que les gouvernemens s’obstinent à promettre le bon marché tel que le comprennent les préjugés populaires : ils ne tarderaient pas à perdre tout crédit. Qu’ils s’en tiennent à développer le travail intérieur, à faciliter les échanges internationaux, à ouvrir largement les sources de la production et les portes par où les produits s’écoulent. La baisse des prix ne viendra pas ; mais la prospérité générale sera plus grande, et les peuples se consoleront aisément de la payer plus cher.

La statistique du commerce de la France n’est pas moins incertaine que la statistique industrielle, si l’on s’attache à rechercher des chiffres exacts. M. Block attribue au commerce intérieur une valeur de 30 à 40 milliards. Il calcule que les marchandises passent en moyenne par trois intermédiaires, c’est-à-dire donnent lieu à