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et que cette assemblée politique ne tarderait pas à sortir de l’inertie où elle s’était maintenue depuis le commencement du règne. La crise préparée par un si long abus de la puissance éclata en effet en 1717 aux états de Dinan. En présence des audacieuses innovations stérilement tentées par le gouvernement de la régence, la Bretagne, pour son compte, ne fit appel qu’à des droits anciens et parfaitement définis ; mais dans ses réclamations ainsi limitées elle se montra inflexible, et à Dinan s’ouvrit contre le pouvoir absolu la lutte de soixante ans qui devait aboutir à la convocation des états-généraux.

En arrivant dans cette ville, l’ordre entier de la noblesse y avait porté la ferme résolution de ne voter désormais le don gratuit qu’à la fin de la session législative. Cet ordre entendait faire précéder le vote d’un débat approfondi sur les rapports des diverses commissions permanentes nommées par les états dans leur session antérieure ; il voulait commencer ses opérations par l’apurement des comptes, l’adjudication des fermes de l’impôt, par l’établissement d’un budget régulier des recettes et dépenses d’après lequel l’assemblée, éclairée sur les ressources et les besoins spéciaux de la province, se trouverait en mesure de fixer la somme dont elle pouvait disposer sans imprudence pour concourir aux dépenses générales du royaume. Rien de tout cela n’excédait assurément les droits de la Bretagne, tels qu’ils avaient été déterminés par le contrat de mariage de Louis XII et par le traité bilatéral de 1532 ; mais, si légitimes que fussent toutes ces choses, le maréchal de Montesquieu à Rennes, le comte d’Argenson à Paris, les considéraient comme de fort séditieuses nouveautés, et le régent avait plus de goût pour les aventures financières que pour les restaurations historiques. Le commandant de la province[1] avait trop peu d’instinct politique pour comprendre l’urgence de concessions nécessaires dans l’intérêt même d’un pouvoir nouveau. Portant d’ailleurs en Bretagne les habitudes d’esprit les plus antipathiques à cette province, la vantardise gasconne doublée de la hauteur de Versailles, le vieux maréchal entendait le gouvernement représentatif à la manière d’un colonel de mousquetaires, et ne soupçonnait pas qu’on dût appliquer à une assemblée délibérante un autre régime que celui de la consigne et de la salle de police., Montesquiou avait profondément blessé la noblesse bretonne par ses mauvais procédés, et dès lors il imputait à des rancunes des résolutions inspirées par les sentimens les plus réfléchis.

Ne soupçonnant pas même la véritable pensée des états, le maréchal

  1. Le gouvernement nominal de la Bretagne était aux mains du comte de Toulouse, qui n’y parut jamais de sa personne.