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demeura jusqu’au bout, quoique composé de catholiques sincères, noblement fidèle au dogme de l’hérédité monarchique.

Cependant, quoique engagée dans la lutte aussi résolument que son chef lui-même, la province se proposait un but très différent de celui vers lequel Mercoeur aspirait secrètement à la conduire, car le prince lorrain voulait profiter, pour la séparer du royaume, d’une crise purement religieuse, tandis que la Bretagne, dans ses efforts pour repousser une royauté protestante, n’apportait aucune arrière-pensée hostile à la France et continuait d’adhérer au traité d’union de 1532, placé depuis un demi-siècle sous la garde de son honneur. Si les Bretons repoussaient un roi hérétique, c’était en s’appuyant sur les principes de la constitution française, avec lesquels cette qualité leur paraissait incompatible ; si Mercœur de son côté insinuait, sans oser la formuler, la caducité d’un acte passé avec la seule postérité d’Anne de Bretagne, et s’il aspirait à revendiquer les droits de la maison de Penthièvre, les ligueurs, même les plus fervens, saisissaient toutes les occasions de protester de leur attachement à l’état et couronne de France. La duchesse de Mercoeur faisait donner au fils dont elle venait d’accoucher le nom de Bretagne, tandis que les états de la ligue, convoqués à Nantes par le prince son époux, se cramponnant à la royauté du cardinal de Bourbon même après sa mort, continuaient de dater leurs actes des années successives de ce règne posthume, et contraignaient le gouverneur de la province a suivre, bien malgré lui, cet étrange exemple de fidélité rétrospective, en frappant les monnaies au coin du roi Charles X décédé[1] !

« Il y a quelques années, faisant des recherches dans le riche dépôt des archives d’Ille-et-Villaine, — dit un homme dont le nom n’est pas moins cher à ses anciens amis politiques qu’aux archéologues bretons, j’y découvris les registres originaux des états convoqués à Nantes et à Vannes pendant la ligue par M. le duc de Mercœur. Ce précieux document, que l’on croyait perdu, fut pour moi toute une révélation….. Là en effet aucune trace pour ainsi dire ni de ces chefs ambitieux, presque tous si inférieurs à leur cause, ni de ces violences que l’on a nommées les fureurs de la ligue. Ces cahiers, laissant dans l’ombre tant de personnages qu’on voudrait oublier, tant de choses qu’on aimerait à n’avoir jamais connues, ne font guère voir qu’une seule figure : la Bretagne dans sa noble, grande et libre représentation, s’occupant, comme toujours, de ses affaires, depuis la plus importante, la défense de sa foi, jusqu’au moindre de ses intérêts matériels, et délibérant avec

  1. Histoire de Bretagne ; par dom Taillandier, liv. XIX ; — Histoire de la Ligue en Cornouaille, par le chanoine Moreau, p. XXXV.