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par une idée toute contraire. Le but que se proposèrent les négociateurs choisis par la princesse, et qu’ils atteignirent sans résistance, tant elle avait su profiter de ses avantages, fut de séparer l’administration des deux pays, et de reconstituer, à la mort des époux, l’ancien duché dans les conditions mêmes où il avait été antérieurement placé vis-à-vis de la monarchie. L’art. 1er du contrat disposait en effet qu’à la mort du dernier survivant, la souveraineté de la Bretagne appartiendrait non au premier, mais au second fils issu de l’union du roi avec la duchesse, aux filles à défaut de mâles, et, à défaut d’enfans, aux héritiers collatéraux de la reine-duchesse[1]. Louis XII n’était donc qu’usufruitier du duché ; il n’obtenait sa femme qu’au prix de la plus importante province de ses états, et sa tendresse conjugale venait rendre inutile le travail de plusieurs siècles. Anne se réserva d’ailleurs l’administration de son duché, car le roi lui reconnut le droit d’y nommer à toutes les charges vacantes, dont les lettres et provisions devaient être scellées en Bretagne même. Enfin, quelques jours après le royal hyménée, célébré à Nantes par la volonté expresse de la reine, des concessions plus importantes encore étaient faites à la province.

Un édit solennel[2] stipulait « qu’aucune loi ou constitution ne serait faite au pays de Bretaigne, fors en la manière accoutumée par les rois et ducs. » Et sur sa foi et parole de roi Louis XII s’engageait « à garder ce pays en tous ses droits et libertés, à ne rien changer qu’avec le consentement des états en ses franchises, usaiges, coutumes, tant au faict de l’église, de la justice, comme chancellerie, conseil, parlement, chambre des comptes, trésorerie, etc. » Aucun impôt, sous quelque forme que ce pût être, ne pouvait être levé en Bretagne que du consentement des états ; l’assentiment de ceux-ci était également nécessaire pour que la noblesse bretonne fût obligée de servir le roi à la guerre hors de la province. « Nous voulons et entendons ne tirer les nobles hors du dict pays, fors en cas de grande et extrême nécessité. » Enfin il était établi que tous les bénéfices religieux de la province seraient exclusivement conférés à des sujets bretons. L’ensemble de ces actes constituait manifestement une séparation administrative pour le présent, il préparait une séparation politique pour l’avenir. Si Louis XII peut et doit certainement être blâmé de les avoir consentis, ces articles ne formaient pas moins entre la province et la couronne des titres aussi sacrés que peuvent l’être toutes les conventions internationales.

L’opinion publique ne s’était guère préoccupée de ces conventions

  1. Traité de mariage entre Louis XII et Anne de Bretagne, du 7 janvier 1498. Preuves de dom Morice, t. III, col. 813.
  2. Voyez le texte de ces articles dans les Preuves de dom Morice, t. III, col. 815.