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affichèrent l’ignorance la plus profonde, quelquefois le dédain le plus imprudent, des droits de cette province et des conditions antérieures de son existence historique. À ces agressions, qui revêtirent tour à tour les formes de la violence et celles de la fatuité, ce pays répondit par une longanimité admirable. Il n’abdiqua pas plus ses libertés sous le despotisme du XVIIe siècle qu’il ne songea, quoi qu’en aient pu dire des écrivains mal informés, à profiter de la crise religieuse du siècle précédent afin de se séparer de la France. Si mes lecteurs ont compris qu’un écrivain breton attachât quelque prix à réhabiliter la mémoire d’un ministre méconnu, ils trouveront plus naturel encore, j’ose le penser, qu’il mette en relief la prudente fermeté d’un peuple à qui la violation des privilèges le plus authentiquement garantis ne fit jamais dépasser les bornes de la résistance légale. Avant de l’établir, je dois exposer dans quelles conditions s’opéra la réunion du duché avec le royaume.


I

Lorsque le 6 décembre 1491 la duchesse Anne consentit enfin à donner sa main au roi Charles VIII dans la chapelle du château de Langeais, son pays était envahi, ses places étaient occupées par des garnisons françaises, et dans sa cour l’infortunée princesse n’avait pas moins à redouter la trahison que la violence. Sauver son honneur de souveraine en remplaçant sur son front, par la couronne royale, le bandeau ducal, pour jamais brisé, c’était là tout ce que pouvait faire alors la faible héritière des rois bretons. La position ne comportait pas d’exigences, et la Bretagne n’en eut aucune. Le contrat signé le jour même de la cérémonie religieuse impliquait le transfert pur et simple de tous les droits de la princesse à son royal époux, et par ordre de primogéniture, selon la loi française, aux enfans issus de leur union, de telle sorte que le duché, devenu partie intégrante et indivisible de la monarchie, devait suivre la destinée de celle-ci. Une seule réserve était faite pour le cas où le roi viendrait à mourir avant la reine sans laisser d’enfans, de leur mariage : dans ce cas, qui vint précisément à se produire, la reine devait reprendre en Bretagne le plein exercice de ses droits de souveraineté, mais sous l’expresse condition de vivre dans le veuvage, à moins qu’il ne lui convînt d’épouser le nouveau roi ou le plus proche héritier de celui-ci[1].

Rédigé avec la promptitude et le secret qui avaient présidé au

  1. Contrat de mariage de Charles VIII et d’Anne de Bretagne. — Preuves de dom Morice, t. III, col. 715.