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prix de revient et par conséquent d’un prix de vente de plus en plus élevés, ainsi que le démontrent pour le passé et l’annoncent pour l’avenir les enseignemens de la statistique. Tant que cette hausse demeurera en rapport avec la dépréciation que subit d’autre part la valeur monétaire, elle sera naturelle, légitime, et on n’aura point à s’en préoccuper.

Ce qui est fatal pour l’agriculture de même que pour le consommateur, c’est l’extrême mobilité des prix de vente. Si ces variations ne devaient être attribuées qu’à l’inconstance des récoltes, il n’y aurait rien à dire, et nous en serions réduits à nous courber avec résignation sous les décrets de la Providence ; mais indépendamment de cette cause supérieure, contre laquelle se débattrait en vain le travail de l’homme, n’y a-t-il point des causes secondaires qui dépendent de nous-mêmes, qui sont du domaine de la législation et des règlemens, et dont il nous serait dès lors possible de conjurer les fâcheux effets ? Est-il bien sûr par exemple que le régime de l’échelle mobile, qui a été précisément institué pour combattre alternativement la baisse et la hausse du prix des grains, c’est-à-dire pour régulariser autant que possible le taux des subsistances, est-il bien sûr que ce régime ait atténué au moindre degré les crises d’avilissement et de cherté contre lesquelles il a été établi ? Les statistiques de l’importation et de l’exportation des grains sont là pour attester l’inanité de ce prétendu remède. Dans les années de récolte surabondante et avec les prix les plus bas, l’exportation s’est souvent réduite aux chiffres les plus modestes : dans les périodes de disette, l’importation des céréales de l’étranger s’est rarement élevée aux chiffres qui représentent aujourd’hui, en temps normal, l’introduction des blés en Angleterre, où l’échelle mobile a été remplacée par un régime de liberté presque complète. Il est même permis de dire que notre loi de douane en matière de céréales a pour effet de précipiter, suivant les cas, la hausse ou la baisse des prix, soit parce qu’elle saisit le marché à l’improviste, soit parce qu’elle crée la panique et tire en quelque sorte le canon d’alarme. Que l’on décrète la suspension de l’échelle mobile : le décret équivaut à une proclamation de disette, et les prix que l’on veut contenir s’élèvent immédiatement et bien au-delà des limites naturelles ; si au contraire on lève à la sortie toutes les barrières, aussitôt l’agriculteur s’imagine que la mesure de l’approvisionnement est dépassée dans d’énormes proportions, et les prix que l’on veut soutenir tombent au plus bas. Du reste, le procès de l’échelle mobile a été récemment et solennellement instruit au conseil d’état ; tout porte à croire que cette institution aurait été déjà condamnée, si les habiles défenseurs de l’échelle mobile n’avaient, en désespoir de cause, plaidé les circonstances politiques et sollicité l’ajournement de l’arrêt, en s’attendrissant