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naturellement dans l’état. M. Rothe présente à l’appui de cette thèse le tableau des vicissitudes de l’église. En quelques coups d’un vigoureux pinceau, il nous la fait voir formant à l’origine une société puissante et régulière, portant dans son triomphe les germes de son déclin, frappée au cœur par la réforme du XVIe siècle, se divisant, s’affaiblissant, s’anéantissant toujours davantage, tandis que l’état au contraire prend mieux conscience de ses droits et étend ses attributions. Rien n’égale le calme avec lequel l’auteur déroule ces faits, la sereine confiance avec laquelle il conclut à l’anéantissement final de la société des croyans.

Sommes-nous arrivés avec M. Rothe au terme des négations que la philosophie de Hegel portait dans ses flancs, et que l’inexorable logique a successivement tirées au jour ? Nullement. Il n’y a plus d’immortalité, plus de Dieu fait homme, plus de société religieuse ; mais la religion subsiste encore, et la religion doit tomber à son tour. MM. Richter, Strauss et Rothe l’ont respectée tout en la dépouillant, ils ont même cru la servir ; M. Feuerbach va se charger d’en démontrer la vanité. Il n’a pour cela qu’à remonter à la définition hégélienne. Qu’est-ce que la religion, selon Hegel ? La religion est un produit et une forme de l’idée ; c’est l’idée qui se contemple elle-même, mais qui n’a pas encore pleine conscience de soi, parce que la forme sous laquelle elle se produit ne lui est pas encore adéquate ; elle ne sera vraiment et pleinement elle-même que lorsqu’elle aura cessé d’être ce qu’elle est pour devenir pensée spéculative. Or cette idée dont la religion est une forme, cet esprit dont la religion constitue une phase, ce sujet, comme l’appelle Hegel, cet être qui finit par se prendre pour la seule réalité et reconnaître la conscience de soi pour-sa propre réalité, cet être, en définitive, c’est l’homme, — l’homme abstrait, l’homme général, mais l’homme. Traduisons maintenant ce langage métaphysique en langage vulgaire, voici à quoi nous arriverons : la religion est une création et une illusion de l’esprit humain ; l’homme adore un dieu qu’il a fait lui-même et qu’il a fait à son image ; la nature divine n’est autre chose que la nature humaine idéalisée, affranchie de toute limite, et considérée en même temps comme un être réel et personnel. En un mot, et pour me servir d’une expression de M. Feuerbach qui est devenue le résumé de sa doctrine et le drapeau de son parti, la théologie n’est au fond que de l’anthropologie. La religion ignore encore ce qu’elle est, mais elle ne peut tarder à l’apprendre. Cette découverte sera la grande crise de l’histoire du monde. L’illusion une fois dissipée, la morale redeviendra indépendante et prendra une nouvelle force. Au lieu d’aimer Dieu, les hommes s’aimeront les uns les autres. Nous n’aurons plus les sacremens, mais nous retrouverons l’eucharistie dans nos repas et le baptême dans l’usage salutaire