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dans la sphère du droit, il annonçait hautement qu’il cherchait à comprendre les faits en les ramenant à l’idée, mais qu’il ne cherchait qu’à comprendre. Quant à enseigner au monde comment il doit se conduire, ce n’était pas, selon lui, l’affaire du philosophe : la science vient trop tard pour cela. Lorsque la pensée s’empare d’un ordre de faits, le mouvement qui les a produits est parvenu à son terme. « Lorsque l’oiseau de Minerve prend son vol, la nuit est déjà là. » Hegel se trompait sans doute. La politique se compose de deux élémens qu’on ne saurait séparer : ce qui est et ce qui doit être, le fait et la règle, l’usage et l’idée. Sans respect pour le développement historique des peuples, il n’y a que théories stériles et révolutions incessantes ; sans idéal rationnel, le droit même nous échappe, car on a beau faire, le droit est une idée et n’est que cela. L’hégélianisme avait raison de reprocher à l’école historique son manque de principe scientifique, et au parti libéral le caractère purement rationnel de ses doctrines ; mais il errait à son tour en éliminant de la science l’un de ses élémens constitutifs, et en réduisant la philosophie à n’être qu’une étude spéculative du fait. Il manquait ainsi, lui qui faisait de l’histoire un mouvement, c’est-à-dire un progrès, il manquait du principe même de tout progrès.

Hegel n’aimait pas les révolutions. Celle de 1830, à laquelle il survécut, l’affecta péniblement. Des événemens de ce genre le blessaient doublement. Épris de la réalité, il éprouvait une vive aversion pour les théories abstraites de nos réformateurs modernes. D’un autre côté, les révolutions sont l’interruption violente de ces lois dont il était accoutumé à observer la réalisation, et si ces perturbations finissent toujours, elles aussi, par trouver leur formule, Hegel n’en avait pas moins quelque peine à y reconnaître l’empreinte de la raison. Il en était de lui, à cet égard, comme de Goethe aux prises avec les théories géologiques. Le sentiment intime du poète protestait contre l’hypothèse des soulèvemens volcaniques. Il aimait mieux en croire les neptuniens. Une terre en ébullition, des montagnes sortant brusquement des entrailles du globe, ces crises effroyables de la nature, dérangeaient un esprit amoureux des développemens harmoniques. Si Goethe faisait de la géologie avec ses prédilections, Hegel faisait de la politique avec les siennes. Est-il bien sûr d’ailleurs que ses vues à cet égard aient besoin d’excuse ? Le libéralisme a-t-il toujours été si intelligent, a-t-il été toujours si libéral, qu’un philosophe ne puisse le critiquer sans encourir le reproche de méconnaître des aspirations généreuses ? Ne s’est-il pas gratuitement compromis en confondant ses intérêts avec ceux des partis révolutionnaires ? Il faudra bien que le jour vienne où une politique mûrie par l’expérience jugera la révolution, et y signalera non plus la crise héroïque des peuples, mais le déploiement d’une