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superflu d’enfoncer. Hegel est jugé par sa tentative même. Comprendre l’univers, c’est le refaire ; le philosophe l’entendait bien ainsi, et il faut qu’il ait eu le cœur porté aux grandes choses pour entreprendre une pareille tâche. Il n’en est pas moins vrai que cet héroïsme inspire aujourd’hui plus d’admiration que de confiance. Nous sentons trop bien que la réalité nous déborde pour ajouter foi à ceux qui prétendent nous l’expliquer. Nous dirions volontiers de la nature ce qu’on a dit de Dieu, qu’il y restera toujours quelque chose d’anonyme. Le penseur qui court après l’absolu est un homme qui veut sauter hors de son ombre. La philosophie ainsi comprise ressemble à la quadrature du cercle : elle poursuit un but dont elle peut se rapprocher indéfiniment, mais qu’il serait contradictoire qu’elle atteignît. Quelque vaste qu’elle soit, la conception de Hegel est trop simple ; elle méconnaît les enchevêtremens infinis de la nature, ses formules craquent et laissent échapper de tous côtés la substance des choses.

Qu’est-ce d’ailleurs que l’absolu ? C’est un cousin-germain de l’infini, la négation de toute limite, de toute condition et de toute relation ; mais, s’il en est ainsi, l’absolu n’est qu’un mot. On ne peut penser l’absolu, parce qu’on ne peut penser que ce qui est déterminé. La condition de toute pensée et de toute connaissance, c’est la relation. Or l’absolu implique l’absence de toute relation, puisqu’il est unique, et qu’en dehors de lui il n’y a rien. Voilà ce que nous apprend la critique de Kant, complétée par celle de Hamilton. On pourrait aller plus loin encore : l’absolu n’est pas seulement insaisissable, il est contradictoire. Comment le définit-on en effet ? Par l’absence de la limite. L’absolu est donc une notion purement négative ; seulement cette notion négative est conçue comme une affirmation, présentée comme une réalité et une substance. L’absolu, pour qui regarde derrière les mots, c’est le néant personnifié, c’est-à-dire la contradiction même. Or l’hégélianisme n’est pas autre chose que la philosophie de ce néant. Ce n’est pas tout enfin. Si le principe de Hegel est vide, sa méthode est ambiguë. Tantôt elle se regarde comme dispensée de rien prouver sous prétexte que l’absolu se sert de preuve à lui-même, tantôt elle se vante de la rigueur de ses procédés. Ici elle nous exhorte à nous jeter à corps perdu dans le courant du système ; ailleurs elle affiche la prétention de ne rien tenir pour accordé, et, partant d’une donnée première qui s’impose d’elle-même à l’esprit, elle se fait fort d’en tirer tout ce qui existe avec une nécessité qui est celle des lois de la pensée. Arrêtons-nous à cette prétention, et voyons si cette rigueur de procédé ne serait pas une illusion.

Le point de départ est la notion de l’être, notion entendue d’une manière aussi abstraite que possible, puisqu’elle est identique avec