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plus loin, je fais observer que les lois qui constituent la marche de l’univers composent en même temps la méthode philosophique, puisque, si l’univers est l’idée, la philosophie, qui s’occupe de l’idée, qui est l’idée se comprenant elle-même, qui s’occupe de l’idée, qui est l’idée se comprenant elle-même, ne saurait avoir d’autres lois que l’univers, d’autre méthode que de suivre le développement de l’idée en s’abandonnant au mouvement propre de celle-ci.

J’ai dit que le but de l’absolu est de se réaliser en prenant conscience de soi. Ce but n’est pas atteint tout d’abord ; il serait plus juste de dire qu’il ne l’est jamais, et que le mouvement de l’idée est un voyage éternel vers un but qui disparaîtrait s’il était atteint, vers un but qui n’est autre que ce voyage même. Quoi qu’il en soit de ce point, sur lequel la pensée de Hegel n’est pas parfaitement claire, les transformations à travers lesquelles l’idée marche à son but suivent une loi constante. Selon cette loi, toute affirmation suppose une négation, comme toute existence suppose une limite. Dire qu’une chose est, c’est dire qu’elle n’en est pas une autre ; je ne suis moi qu’autant que je ne suis pas ce qui n’est pas moi. D’un autre côté, il résulte de ceci que la négation ne renverse pas l’affirmation précédente ; elle la limite seulement, elle la modifie, et elle nous oblige ainsi à embrasser l’une et l’autre dans leur unité, à les concilier. La conciliation se fait au moyen d’un troisième terme qui renferme les deux autres, mais qui les renferme, réunis, combinés, absorbés. Cependant ce nouveau terme éprouve à son tour ce que les précédens ont déjà éprouvé : il ne peut se poser sans mettre au jour la contradiction qu’il porte en soi, et qui va le pousser, lui aussi, à une transformation. Telle est, d’après Hegel, la loi du mouvement des choses. L’absolu sort de lui-même en vertu du principe de contradiction. Affirmation, négation, conciliation, — thèse, antithèse, synthèse, — voilà la succession des phases à travers lesquelles l’idée se réalise en se transformant. C’est ce qu’on a appelé le rhythme du système. Ce rhythme à trois temps s’y retrouve partout, dans les grands traits et dans les dernières ramifications, dans la marche générale de l’idée et dans chacun des pas dont cette marche se compose. On a ingénieusement comparé le système de Hegel à l’une de ces cathédrales gothiques dans lesquelles chaque détail reproduit le type général de l’édifice.

Nous avons le principe universel ou l’idée, nous avons la formule générale ou la loi du mouvement de l’idée ; il nous resterait maintenant à suivre l’application de cette loi et, pour ainsi parler, les étapes de l’absolu dans le voyage qu’il a entrepris à la recherche de lui-même. On comprend toutefois que je ne puis conduire le lecteur à travers cette odyssée infinie ; ce serait refaire la philosophie