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d’existences individuelles dans chacune desquelles se particularise l’espèce ; il faut de loi en loi remonter à une loi suprême, mot dernier de ce qui est : cette production et cette destruction incessantes, cette succession, cet enchaînement, ce qui se dégage de tout cela, la règle de ce mouvement, la raison de ces transformations, le lien qui les rattache, l’ensemble qu’elles forment, l’idée qui s’y manifeste, voilà l’essence des choses, voilà l’unique réalité, voilà l’absolu !

Mais, demandera-t-on, quelle est la raison dernière de toutes ces évolutions ? La voici : le but auquel tend l’absolu est d’arriver, de manifestation en manifestation, à une forme dans laquelle il soit identique à lui-même, c’est-à-dire dans laquelle il n’y ait plus ni sujet ni objet, ni esprit ni nature, dans laquelle l’être ne fasse plus qu’un avec la pensée, l’idée avec la réalité, dans laquelle l’absolu soit enfin absolu, parce qu’il se connaîtra comme tel, et parce que se savoir absolu, c’est être absolu. C’est pourquoi aussi l’expression qui représente le mieux le principe hégélien est celle de conscience du moi, le propre de la conscience étant de n’avoir d’autre contenu, d’autre objet qu’elle-même. « La conscience, dit Hegel, a conscience de soi, et la conscience ayant conscience de soi, c’est l’absolu. »

Cependant, s’il faut se garder de prendre l’idée ou l’absolu comme une substance par opposition à des attributs, comme une force par opposition à des effets, ou même comme une activité par opposition à des actes, s’il faut y voir essentiellement un mouvement, et, comme s’exprime Hegel, une dialectique, il ne faut pas moins se garder d’y voir un mouvement à vide, un jeu qui ne laisserait à l’univers que la consistance du rêve. L’identité hégélienne n’est pas l’identité abstraite, mais celle qui suppose la différence. L’idée est en quelque sorte la résultante générale des forces et le sens général des faits. L’idée est l’absolu, mais l’absolu pris en soi n’est pas encore l’absolu ; pour qu’il le devienne, il faut, si j’ose me servir de cette expression, qu’il s’intègre lui-même en produisant l’univers. La simplicité de l’absolu ne doit pas être confondue avec celle d’un principe purement idéal ; c’est celle au contraire qui suppose la variété infinie des êtres, les combinaisons infinies de la nature, les rencontres infinies de l’histoire, et qui s’en dégage comme l’unité se dégage de la diversité. L’absolu se constitue en sortant de soi et en revenant à soi après être devenu autre que lui-même, — et cette évolution, c’est le monde.

Redescendons un moment des hauteurs où nous sommes parvenus. Nous avons l’idée comme principe de ce qui existe ; mais si nous savons qu’elle se meut, nous ne connaissons pas encore la loi de son mouvement. Or c’est là l’important. Toutefois, avant d’aller