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amis : chez l’un une précocité brillante qui a fini par la stérilité, chez l’autre une pesanteur sous laquelle se dissimulait le génie le plus vigoureux.

Au sortir de l’université, Hegel, qui était sans fortune, et qui ne paraît avoir eu aucune velléité d’entrer dans l’église, chercha une place qui lui permît de continuer ses études. Il devint précepteur dans une famille de Berne, et, trois ans après, dans une autre famille à Francfort. Les années qu’il passa de la sorte furent consacrées au travail le plus opiniâtre. À Tubingue, il s’était mis avec ardeur à l’étude de l’antiquité grecque ; à Berne, ses préoccupations furent théologiques : il écrivit une vie de Jésus-Christ et s’enfonça dans des recherches sur les origines du christianisme. À Francfort, son attention se tourna vers la politique : il lut Adam Smith, composa un écrit sur la constitution du Wurtemberg, un autre sur l’organisation de l’Allemagne. Il embrassait ainsi dans ses méditations l’antiquité et les temps modernes, la religion et la société, tous les problèmes qu’offre le monde ; mais ces problèmes, à leur tour, l’amenaient à la philosophie comme à leur solution commune, et lorsqu’il quitta Francfort, il possédait en portefeuille un cours de philosophie complet dans lequel on trouve déjà très nettement accusées la méthode caractéristique, les grandes divisions et les données fondamentales du système auquel il a plus tard attaché son nom. Hegel avait alors trente ans.

Il résolut à cette époque de se vouer à l’enseignement public, et il se mit à la recherche d’une chaire de philosophie. Attiré par Schelling, il se rendit à Iéna. Iéna était alors la capitale littéraire de l’Allemagne. Schiller et Fichte y avaient enseigné, Guillaume de Humboldt et Goethe y avaient souvent visité leur ami, les romantiques en avaient fait en quelque sorte leur quartier-général ; Schelling enfin, malgré sa jeunesse, y enseignait avec éclat. Hegel y arriva au commencement de 1801 et s’occupa de rédiger la thèse qu’il devait soutenir pour être autorisé à faire des cours. Ce travail était de mauvais augure : le candidat avait pris pour sujet l’orbite des planètes ; il s’efforçait d’établir a priori les lois de Kepler, et, remontant aux calculs du Timée, il estimait qu’il n’y avait point lieu de chercher une nouvelle planète entre Mars et Jupiter. Or Cérès venait justement d’être découverte par Piazzi. C’était jouer de malheur, mais le jeune philosophe n’en devint pas plus prudent. Nous le verrons reconstruire l’univers entier avec la même assurance.

Le nouveau professeur, qui, selon l’usage allemand, n’était encore que professeur bénévole, réussit peu d’abord. Il débuta avec quatre auditeurs. Ce nombre ne grossit guère. D’un autre côté, il avait entrepris avec Schelling la publication d’un recueil philosophique dans lequel parurent ses premiers travaux. Hegel, à cette