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ne commence à être connu, sa philosophie ne commence à être jugée que depuis qu’il n’y a plus d’hégéliens.

En disant qu’il n’y a plus d’hégéliens, j’oubliais M. Véra. M. Véra n’est pas de ceux qui cachent leur drapeau : il croit à Hegel, il confesse le nom de son maître, il ne doute point de l’avenir du système. Peut-être convient-il de l’en féliciter. Moins convaincu, l’auteur se montrerait moins zélé pour la tâche à laquelle il a consacré ses forces. M. Véra a beaucoup fait pour répandre la connaissance de la philosophie spéculative. Italien de naissance, mais doué d’une remarquable facilité à manier les langues modernes, il a plaidé la cause de l’hégélianisme en Angleterre et en France avant de la porter devant le public de sa propre patrie. La traduction de la Logique en français est assurément une œuvre méritoire : reste à savoir si la Logique peut se traduire ; j’incline à penser que la meilleure version serait celle qui, renonçant à tenir lieu du texte allemand, supposerait l’original sous les yeux du lecteur, et à force d’en préciser le sens, d’en expliquer les termes, d’en accuser les intentions, y ferait enfin circuler cette lumière que la langue française porte partout avec elle. La partie la plus utile des travaux de M. Véra est probablement l’introduction générale au moyen de laquelle il s’est proposé d’orienter le lecteur sur l’ensemble du système. Toutefois ici encore il n’a pas conçu sa tâche d’une manière assez large. Une histoire de la vie et des travaux de Hegel, une histoire critique surtout, qui nous eût montré le philosophe dans la transformation de sa pensée et les inconséquences de sa doctrine, nous aurait mieux aidés à le comprendre qu’une simple analyse de l’Encyclopédie, Ajoutons que l’exposition de M. Véra est prolixe, que le fil en est rompu par une polémique perpétuelle, enfin qu’on y sent trop l’enthousiasme du disciple et trop peu la fermeté du critique.

J’ai inscrit en tête de cette étude le titre d’un livre de M. Haym. Ce livre indique la fin d’une période dans l’histoire de la pensée allemande. Il faut que l’hégélianisme soit déjà bien loin de nous pour qu’un écrivain ait pu si bien l’embrasser dans son ensemble, le ramener à ses origines, lui assigner sa place dans le développement des idées, y distinguer les résultats définitifs et les élémens périssables. L’auteur, connu par une biographie d’Alexandre de Humboldt et par les Annales prussiennes, dont il est le rédacteur en chef, a eu les manuscrits de Hegel à sa disposition et a pu ainsi jeter un nouveau jour sur la formation des idées du philosophe. Il ne s’est pas cru engagé par la générosité dont la famille du défunt avait fait preuve à son égard en lui livrant des documens aussi importans, et le lecteur jugera probablement que la meilleure manière d’honorer la mémoire d’un grand homme était en effet de conserver vis-à-vis de lui une entière liberté d’appréciation. Peut-être cependant