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d’Albany, par Fabre lui-même ! que de souvenirs de toute sorte attachés à ces Raphaël, à ces Rubens, à ces Poussin, à ces Ribeira, à ces médailles, à ces pierres gravées, à ces tablettes de marbre ! Une telle bibliothèque, un musée de cette nature, avaient certainement un intérêt historique, d’autres disent un intérêt romanesque et légendaire, qui en augmentait la valeur. Fabre allait-il jouir en égoïste de toutes ces choses si curieuses et si belles ? Il les donna généreusement à sa ville natale, qui, libérale à son tour, fit construire un bâtiment pour ce précieux dépôt et y logea le donateur lui-même au milieu de ses richesses. C’est là que Fabre, créé baron par Charles X, acheva sa laborieuse carrière ; c’est là qu’on le vit jusqu’à sa dernière heure (1837) froid, discret, dédaigneux, tourmenté par la goutte, irrité surtout par la révolution de juillet, toujours respectueux pour Mme d’Albany, quoiqu’il évitât de prononcer son nom, représenter, non sans un certain embarras, la tradition de cette mystérieuse histoire.

Et maintenant qu’elle n’est plus un mystère, quelle conclusion devrons-nous en tirer ? Un de mes amis à qui je communiquais les résultats de mon étude m’a écrit à ce sujet des paroles qui m’ont frappé. C’est un esprit austère, plus allemand que français, nourri de la sévère morale protestante, et qui, de toute notre littérature, ne connaît intimement que les maîtres de Port-Royal, auxquels il associe les récens moralistes de Lausanne et de Strasbourg, MM. Vinet, Celani, Edmond Scherer. Il m’écrivait donc, à propos de la comtesse d’Albany : « Vous hésitez à conclure. Goethe prétend en effet que, pour certaines œuvres d’art comme pour certains épisodes du monde réel, c’est une fâcheuse manie de vouloir absolument y trouver une leçon. « Les lettres que Schiller m’a écrites sur Wilhelm Meister, disait-il un jour à Eckermann, contiennent des vues et des idées de la plus haute importance ; mais cet ouvrage est au nombre des productions, qui échappent à toute mesure : moi-même je n’en ai pas la clé. On y cherche un point central ; or il est difficile qu’il y en ait un, et même cela ne serait pas bon. Une existence riche et variée qui se déroulerait devant nos yeux serait aussi un tout, un ensemble, une œuvre naturelle, sans aucune tendance exprimée, car une tendance n’est pas quelque chose de réel, ce n’est qu’une conception de notre esprit. Si pourtant on en veut une à toute force, on peut s’en tenir à ces paroles que Frédéric adresse à notre héros à la fin du récit : « Tu ressembles à Saül, fils de Ris, qui sortit pour chercher les ânesses de son père, et qui trouva un royaume. » Oui, qu’on s’en tienne là, car au fond l’ensemble du roman ne paraît point vouloir exprimer autre chose que ceci : l’homme, malgré ses sottises et ses égaremens, guidé par une main d’en haut, finit cependant par atteindre