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souveraine. Quelques jours après, la comtesse d’Albany était morte. Elle s’éteignit fort doucement, le 29 janvier 1824, aux premières clartés du matin. Son esprit, assure-t-on, ne se voila pas un instant. Après avoir reçu les secours de la religion, elle vit arriver l’heure suprême avec une parfaite tranquillité d’âme.

Son testament, quoiqu’elle y invoque pour son âme la protection du roi de France saint Louis, montre bien jusqu’au bout la singulière indépendance de sa conduite. À part sa mère[1], à qui elle lègue tout ce que la loi lui accorde (tutta quella parte che la legge gli concede), et sa plus jeune sœur, Gustavine de Stolberg, à qui elle abandonne une somme de quinze mille écus, les membres de sa famille ne reçoivent d’elle que de simples souvenirs, comme tous ses autres amis. À sa sœur aînée, la duchesse de Berwick, elle donne un déjeuner de porcelaine ; à son autre sœur, Mme d’Arberg, une cafetière d’argent ; à son neveu, le duc de Berwick, comme descendant de Jacques II, un portrait de Charles-Edouard sur camée et une miniature de Marie Stuart ; elle lègue enfin un souvenir personnel à chacun de ses parens, de même qu’elle donne à l’abbé de Brème un portrait d’Alfieri, au marquis de Valerga un portrait de l’abbé de Caluso, au cardinal Consalvi un tableau représentant saint Jérôme, etc. Mais son légataire universel, l’héritier de tous ses biens meubles et immeubles, celui aux mains duquel vont passer, avec les titres de sa fortune, tous ses manuscrits, tous ses livres, tous ses tableaux, tous ses bijoux, c’est François-Xavier Fabre.

Quelques années après la mort de la comtesse d’Albany, Fabre résolut de finir ses jours dans sa ville natale. Il s’occupa d’abord d’élever un monument à la comtesse, comme la comtesse avait élevé un monument à Alfieri ; puis, ayant fait don à la ville de Florence des manuscrits du poète, il obtint du grand-duc de Toscane la permission de retourner en France avec tous ses trésors. On peut dire qu’il emportait d’Italie un musée et une bibliothèque. Tous ces beaux livres grecs, latins, italiens, dont le chevalier d’Homère était si passionnément amoureux, ces éditions monumentales d’Eschyle et d’Alighieri, ces exemplaires de Sophocle et de Pétrarque, de Térence et de l’Arioste, choisis avec un soin si religieux, ces pages où il a lui-même inscrit son nom, ces lettres inédites de Mme de Staël, de Mme de Souza, de Sismondi, de Bonstetten, de M. de Sabran, de Canova, d’Ugo Foscolo, du cardinal d’York, du cardinal Consalvi, de tant d’autres, tout cela désormais appartenait au peintre de Montpellier. Et que de tableaux de maître, que de chefs-d’œuvre rassemblés depuis un-demi-siècle par Charles-Edouard, par la comtesse

  1. A l’époque où ce testament fut écrit, en 1817, la mère de Mme d’Albany vivait encore.