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serait entachée de graves erreurs. Il convient d’examiner chaque pays isolément et de comparer les chiffres relevés par période. En conséquence, il n’y a pas à discuter sur le plus ou moins de densité et d’accroissement de la population française comparée avec telle autre population étrangère : le seul fait qui soit de nature à inspirer de sérieuses réflexions, c’est le ralentissement très marqué qui a été signalé, durant la période décennale de 1846-1856, dans l’accroissement de notre population, et, d’après les événemens qui ont marqué les cinq dernières années, il est à craindre que le prochain recensement ne révèle pas une situation meilleure.

Les chiffres statistiques ne sont point nécessaires pour démontrer que depuis vingt ans la population des campagnes diminue et se porte vers les villes. Ce fait est ordinairement la conséquence du développement industriel : ainsi le pays d’Europe où l’on rencontre le plus grand nombre de villes populeuses est sans contredit l’Angleterre avec ses centres manufacturiers, qui se sont multipliés et grossis dans des proportions énormes : tel bourg qui ne possédait au commencement de ce siècle que quelques centaines d’habitans compte aujourd’hui plus de cent mille âmes. Les progrès de l’industrie et l’extension des usines produiront en France, des résultats analogues ; mais cette cause n’est point la seule. Nos principales villes, à l’exemple de Paris, sont entrées dans la voie des agrandissemens et des embellissemens elles exécutent de nombreux travaux qui attirent les bras et les retiennent par l’élévation des salaires. N’a-t-on point sous ce, rapport dépassé la juste mesure ? S’il est nécessaire d’assainir nos grandes villes, faut-il en même temps se lancer dans ces travaux de luxe que l’on entreprend de tous côtés avec tant d’ardeur, et qui affectent non-seulement les conditions de la propriété privée, mais encore les finances municipales, le prix des denrées, le régime des salaires ? Cette précipitation vers le bien n’est pas sans péril, et l’on peut dire que, parmi les ouvriers employés au renouvellement de nos villes, il en est un, le plus sûr, le plus patient de tous, qui n’obtient pas les égards qu’il mérite c’est le temps. Quoi qu’il en soit, cette transformation, peut-être trop rapide, amène un brusque déplacement de la population ; celle-ci afflue dans les villes, l’équilibre est rompu au détriment des campagnes. Or ce mouvement artificiel et irrégulier ne saurait être envisagé de la même manière que le mouvement naturel et normal produit par les progrès de l’industrie manufacturière. Il imprime çà et là de vives secousses, qui troublent l’harmonie générale des situations et précipitent les lentes évolutions des faits économiques. On doit donc y prendre garde, car, autour des grands centres, l’agriculture, commence à souffir sérieusement du manque de bras. Dans cet état de choses, il n’existe pas d’autre remède que celui qui